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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Une idée qui me tenaille.

La pince monseigneur…

 

 

Chaque vendredi saint d'aussi longtemps qu'il m'en souvienne me revient d'une manière entêtante le même cauchemar. Est-ce l'idée de ne pas pouvoir manger de viande de toute la journée qui me donne ainsi une humeur massacrante ? Je ne saurai l'affirmer même si pour moi, cette journée si particulière est un long chemin de croix. Dès le chant du coq me vient des envies de dindon farci, de vol au vent ou bien encore de cochon grillé. Mais rien de tout ça ne m'est permis au risque d'offusquer ma pauvre mère, à cheval sur les traditions.

Moi qui ne bricole jamais quoique fils de tapissier, je pénètre dans la boutique pour aller décrocher une tenaille, une pince, un outil susceptible d'arracher des clous. Une idée fixe que je ne parviens pas à expliquer au point d'en perdre la tête et de me retrouver sur un chemin pentu me menant au sommet d'une colline.

Le jour-même il devait y avoir une une manifestation populaire, un carnaval ou une procession quelconque. La rue était jonchée de papier gras, de cornets de frites vides et de confettis. Je marchais ainsi sur les reliefs d'une voirie qui menait vers un ciel obscurci et menaçant. L'air sentait l'orage à moins que ce ne fut le soufre.

À intervalles réguliers, des soldats romains faisaient le pied de grue, interdisant tout rassemblement populaire. Marchant seul vers ma destinée, nul n’entrava ma démarche tandis que dans les ruelles adjacentes je percevais l'expression d'une colère sourde. Je m'enquis auprès d'un marchand proche d'un temple des raisons de cette agitation. L'homme me répondit qu'un meneur d'un groupuscule sectaire, «  Soulèvement la Terre Sainte ! » avait été arrêté par la brigade montée de répression des actions violentes et mené manu militari au sommet du Golgotha. Un temps j'ai imaginé que mon désir de tenaille devait me conduire à arracher quelques cavaliers, ceux-là même qui ne se plient qu'aux injonctions de l'ordre.

Témoin oculaire des incidents, l'homme encore fortement choqué n'avait pu me narrer plus précisément le déroulement des faits. Il évoquait des charges violentes, l'épée en main sous les ordres d'un certain Ponce Pilate qui en la circonstance n'avait pas les mains propres. Qui sème le vent, récolte la tempête, une expression toujours à la pointe de l'actualité. Je gravis les derniers mètres qui me restaient pour atteindre le faîte de la colline, mon statut d'étranger à la cité me laissant ainsi toute liberté de franchir les barrages.

Le spectacle qui s'offrit à moi me laissa sans voix. Trois individus dépenaillés avaient été juchés sur des promontoires en bois. Dans un premier temps, je crus qu'il profitaient ainsi d'une vue exceptionnelle sur Jérusalem. Une curieuse proposition d'une officine de tourisme ? Puis à y regarder de plus près, ils étaient manifestement en souffrance, victimes d'une effroyable torture. Des clous les maintenaient à leur croix.

Soudain j'eus la révélation. Mon cauchemar avait un sens, je devais agir pour arracher à sa souffrance l'un de ses malheureux. Un spadassin à qui j'avais graissé la patte avait été très ferme après m'avoir réclamé trois pièces d'argent. « Vous ne pouvez en libérer qu'un seul quand j'aurai le dos tourné. Pas un de plus ou bien vous prendriez la place du second ! »

Je pris ma tenaille, l'estomac noué, conscient de l'injustice que forcément j'allais commettre. Les yeux des trois suppliciés me fixaient ardemment. Chacun semblait m'implorer du regard, ne pouvant me supplier tellement leur posture les étouffait. J'agis sans discernement comptant sur le hasard pour qu'il décide à ma place.

Je fus touché par la douceur qui émanait de l'un d'eux. Au delà de la souffrance physique, il semblait nimbé d'une puissance mystérieuse, d'une sagesse qui m'impressionna. Je me proposais de le délivrer de par la magie de mon outil quand l'homme se pencha vers moi et me tint un curieux langage : « Ne viens pas t'interposer dans ma mission sur Terre. Je suis ici pour faire mon trou et les clous y contribuent largement. C'est par mon sacrifice que j'entends extirper le mal sur cette terre, ta tenaille interdirait ce grand dessein. Va plus loin, je ne t'en veux pas ! »

Ce fut ainsi que je décrochai un certain Barabaz, voisin de celui qui me laissa une impression profonde. L'homme me remercia et m'avoua ses forfaits multiples avant que de prendre la poudre d'escampette. Ce n'était pas lui le pauvre agneau injustement puni.

À mon réveil, une fois encore, la journée se déroula sans que je n'eus droit de manger de la viande même si le pain et le vin restaient au menu de cette journée maigre. Comme depuis bien longtemps, le castor n'est plus vendu par les bénédictins sous prétexte que sa queue le range dans la classe des poissons, je fis maigre avec une faim qui me tenaillait l'estomac

À contre-passion.

 

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