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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

L'intrépide Moussa

Le beau parleur.

 

 

Moussa le beau parleur, telle était la réputation de ce brave garçon dans son village à la lisière de la forêt profonde. Ne sachant rien faire de ses dix doigts sans véritablement la volonté d'apprendre à se rendre utile, Moussa avait pris le parti de gagner sa pitance en racontant des sornettes à qui manquait de compagnie ou de distraction.

 

Bien vite sa réputation de menteur invétéré et de raconteur drôlatique avait fait le tour du pays au point où de temps à autre, le roi en personne le convoquait dans son palais lorsqu'il avait besoin de s'égailler un peu. Les récits picaresques du gentil Moussa avaient le don de lui changer les idées et de lui faire oublier un peu le poids de sa charge.

 

Moussa considéra longtemps ce privilège comme un don du ciel, une faveur de la providence qu'elle fut divine ou bien diabolique. Il était devenu celui qui racontait à l'oreille du roi, une carte de visite qui lui valait la considération de tous et surtout une gratification à la hauteur de cette reconnaissance quand il venait déverser son lot de billevesées et coquecigrues au cours d'une veillée.

 

C'est justement alors qu'il avait débuté un récit épique chez un riche marchand de la cité qu'il fut interrompu par les envoyés du roi qui avaient ordre de se saisir de sa personne sur le champ. Moussa le beau parleur en eut la chique coupée, ce qui en ce qui le concerne, était un signe évident de grand trouble. Que lui voulait le Prince ? Qu'avait-il fait pour mériter pareille infamie ?

 

Mené sans tarder devant celui qui le mandait ainsi, Moussa redoutait le pire quand le Roi prit la parole. Non seulement ses craintes ne furent pas déçues mais qui plus est, le ciel lui tombait soudainement sur la tête. Le royaume était la proie d'un fléau épouvantable dont jusqu'alors, nul guerrier n'avait pu venir à bout. Pire même, aucun de ceux qui étaient partis affronter le danger n'étaient jamais revenus. Le monarque ne voyait plus que Moussa pour sauver le pays du désastre.

 

Le beau parleur avait tant et tant raconté ses exploits, tous plus extraordinaires les uns que les autres, que dans sa naïveté d'auditeur pris par la virtuosité du menteur, le roi avait fini par croire à l'invulnérabilité de son bouffon. Il ne voyait que lui pour affronter et mettre hors d'état de nuire la terrible bête fauve qui terrorisait villageois et voyageurs tout en dévorant les hommes d'armes qui tentaient de la vaincre.

 

Moussa ne pouvait reculer. Une demande du roi est une injonction contre laquelle il est impossible d'opposer la plus petite réserve, la moindre réticence. Tout refus de sa part le conduirait devant l'exécuteur des hautes œuvres. Il y a là de quoi perdre la tête. Il se voyait dans l'obligation de se mettre sur le champ en route pour son trépas ou sa fuite.

 

Le menteur était pris à son propre piège. Partir signifiait abandonner à jamais le confort et la vie facile qu'il avait gagné de par sa faconde. Il lui fallait disparaître à jamais, quitter cette contrée où sa renommée lui octroyait une vie facile et confortable pour se retrouver dans un nouveau territoire, une nouvelle langue qu'il ne maîtrisait pas et le contraindrait, quelle horreur, à travailler !

 

C'était ça ou la mort sur l'échafaud où dans la forêt. Moussa tout en promettant de se mettre en marche pour affronter le terrible danger prépara son baluchon pour un exil sans retour. Il s'équipa de son bâton de marche, de sa musette dans laquelle il glissa des provisions de bouche et dut abandonner dans sa demeure tout ce qui aurait été utile à une nouvelle existence.

 

Il ne pouvait en effet se mettre en chasse en emportant ses richesses accumulées ni sa garde robe. L'annonce de sa mission ayant fait le tour de la cité, c'est un immense cortège qui accompagna le courageux et intrépide Moussa aux portes de la fortification qui enceignait la ville. Au-delà, plus personne ne s'aventurait et chacun espérait au succès de l'expédition du beau parleur.

 

Moussa ne pouvait prendre la poudre d'escampette. Des milliers d'yeux suivaient, admiratifs, son départ vers l'aventure la plus périlleuse de son existence. Tous les gens, à l’instar du roi, avait une confiance aveugle en ce héros qui leur avait narré tant d'exploits mirifiques. Moussa, tout en menaçant de souiller ses braies, ne pouvait échapper à son destin. Il devait se diriger vers le péril puis attendre la nuit et filer dans l'autre sens à la faveur de l'obscurité.

 

Tout en avançant vers son destin, il implorait les puissances de la nature de lui venir en aide, de repousser le péril le plus longtemps possible. Il espérait de toute son âme que la bête féroce fut le plus loin possible et qu'il n'aurait pas à croiser son chemin avant que de prendre la poudre d'escampette.

 

Hélas, les voies du maître de l'univers ne sont faites que de chausse-trappes et de pièges sournois. Sitôt sous le couvert de la forêt, Moussa entendit le barrissement furieux d'un rhinocéros qui fonça sur lui. Jamais il n'avait vu animal plus puissant que ce monstre de chair et de muscles rendu furieux pour on ne sait quelle raison.

 

Moussa tout en grimpant prestement à un arbre, comprit pourquoi tous les guerriers avaient échoué devant le cuir de cet animal invisible. Comment allait-il se sortir de ce traquenard dans lequel l'avait plongé ses intarissables menteries. Pour l'heure, il fallait se montrer patient et attendre un miracle du haut de son arbre.

 

La bête furieuse chargea plusieurs fois le gros arbre qui vaillamment résista à ses assauts. Moussa avait par deux ou trois fois manqué de choir sur la puissance des chocs. Il se lamentait, se creusant la tête à la recherche d'une astuce pour se concilier l'animal. Le beau parleur crut pouvoir amadouer le rhinocéros comme il l'avait fait de ses semblables les humains. Il lui raconta des histoires qui n'eurent que l'effet d'énerver plus encore celui qui se montrait sourd à sa fantaisie légendaire.

 

Comprenant qu'il valait mieux se taire quand il se trouvait face à la force bestiale et stupide de ce monstre sans culture, il se trouva fort démuni. Il venait d'user vainement de la seule arme qui était à sa disposition : sa langue, du moins le croyait-il ! Il était là à se creuser les méninges quand son estomac réagit en exprimant une petite fringale. Ce fut là le déclic pour notre diseur de sornettes.

 

Moussa était un gourmand invétéré. Il avait rempli sa besace de friandises peu propices à la longue marche qu'il entendait faire pour changer de contrée mais si succulentes qu'il n'avait pu résister entre les exigences des besoins énergétiques et ceux du plaisir de l’hédoniste. Mais pour l'heure, l'instinct de survie poussa ce gourmet à sacrifier ses réserves pour amadouer son tourmenteur.

 

Il jeta ses réserves sucrées à cet herbivore qui troqua son régime alimentaire pour ces délices tombés de l'arbre. Le rhinocéros à l'égal des humains est susceptible de se laisser prendre aux illusions des sucreries. Il en fut du reste largement récompensé par un plaisir sans pareil. Il s'en eut pourléché les babines si la chose lui eut été possible.

 

Repu certes mais désireux de poursuivre dans cette pratique qui allait mettre en danger une dentition qui jusqu'alors n'avait jamais connu pareille agression, l'animal, au lieu de lever le camp, attendit de nouvelles chutes sucrées. Moussa avait entièrement sacrifié ses réserves en obtenant l'effet inverse à celui qu'il escomptait. Il se dit que le sommeil entraînerait sa chute et provoquerait sa fin. Son passage sur terre allait se terminer sans qu'il puisse souffler un dernier mot à un auditeur compatissant. C'était là son plus grand regret.

 

Il avait manqué de s'assoupir. L'instinct de survie lui avait permis de se raccrocher à sa branche mais ce n'était là que reculer pour mieux tomber. Il n'envisageait pas d'autre issue quand par maladresse il laissa choir son bâton de marche qui avouons-le ne lui avait été d'aucun secours devant ce terrible péril.

 

La chute de cette nouvelle offrande provoqua une réaction particulièrement goulue d'un rhinocéros ayant totalement perdu le sens de la nuance et de la sobriété. Pensant que ce fut là un sucre d'orge gigantesque, l'animal gagné par la goinfrerie avala le bâton d'une seule bouchée qui lui fut fatale. L'estomac perforé, il agonisa au pied de cet arbre qui n'était pas de cocagne.

 

Moussa regretta amèrement la perte de son bâton de parole tout en se félicitant du succès de ce qu'il prenait désormais pour une stratégie mûrement réfléchie. Bien vite, emporté par son imagination débridée, il imagina un scénario fabuleux pour décrire un combat épique. Il descendit de son arbre pour venir passer la nuit en bénéficiant de la douce chaleur protectrice de son trophée.

 

Le lendemain, l'estomac vide mais la tête pleine de nouveaux épisodes à raconter, il rentra dans la cité afin de recevoir le triomphe qu'il était en droit d'attendre. Il dut cependant différer son triomphe. Les habitants tout comme le roi se montrèrent suspicieux. La réputation de menteur lui collait à la peau. Il fallut attendre le retour du convoi parti en sa compagnie pour aller chercher la preuve de son exploit pour que de vedette incontestée de la cité, il devint le héros de tout un peuple.

 

Il fut alors fêté comme il se doit tandis que le roi décida d'un grand banquet pour célébrer la mort du monstre. Celui-ci fut dépouillé et mit à griller sur la grande place. En le vidant Moussa le beau parleur eut le bonheur de récupérer intact son bâton de parole, ce qui lui permit séance tenante de se lancer dans la plus extraordinaire épopée. Il est possible qu'il raconte encore quelque part dans ce pays lointain où les oreilles ne sont pas couvertes d'un casque ou d'écouteurs.

 

À contre-fuite.

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