À trop le gonfler.

Le castor aventureux.

Il advint qu'un castor, exaspéré de constater que son petit cousin le ragondin se faisait passer pour l'un de ses semblables, décréta de mener une campagne de communication à grande échelle afin de mettre un terme à une confusion qu'il jugeait dégradante. L'animal, toujours sur les dents, se mit sans tarder au travail, ayant élaboré un curieux plan dans un esprit largement troublé par la colère.

Ajoutons, pour mieux comprendre le contexte que dans le passé, les siens eurent à subir bien des désagréments par la faute de honteuses confusions, d'affreux appétits et d'insupportables soucis esthétiques. Se refusant à ressasser sans cesse les griefs qui l'opposaient aux humains, il était bien décidé cette fois, à mener une croisade spectaculaire pour redonner la primauté locale à ceux de son espèce.

Au lieu de ronger son frein, il s'attaqua hardiment à quelques saules, envisageant à moyen terme de fabriquer un immense panier en osier. L'ouvrage lui prit plusieurs années, le castor n'étant pas des plus habiles avec ses pattes avant, mais qu'importe, sa détermination sans faille lui permettant de passer outre tous les obstacles et les difficultés.

Trois années plus tard, il avait réalisé la première étape de son plan machiavélique. Une formidable nacelle était apte à mettre tous ses œufs dans son beau panier. On ne dire mieux puisque le week-end pascal pointait son museau. Il y avait donc foison de touristes dans le secteur, ceux-là même qui aimaient à jouer de l'odieuse confusion.

Notre ami voulait démontrer à tous qu'il se distinguait de son homologue grâce à un appendice dont il attendait faire démonstration spectaculaire de ses mérites. Comment avait-il pu échafauder pareille absurdité ? Nul ne pourra jamais justifier cette folie échappant à toute réflexion rationnelle, le castor n'étant pas connu pour la pertinence de son raisonnement.

Il entendait profiter de la mode des montgolfières et autres ballons aérostiers pour prendre de la hauteur dans son panier magique en survolant la vallée du Cher, afin de démontrer aux béotiens de la classification naturelle la supériorité de ceux de son espèce. Survoler la rivière, mettre en évidence les traces des ses homologues tout en utilisant sa queue comme gouvernail aérostier, ce que nul ragondin n'était en mesure de réaliser.

Les chemins de la pédagogie sont aussi sinueux qu'obscurs. Notre ami réalisait sans doute un phantasme personnel qui n'aurait eu nul besoin de témoins ou de prétexte. Mais avouons que la location d'un ballon pour lui eut posé des problèmes insolubles. Il fit donc venir des candidats à l'aventure aérienne et à la contemplation de ce paysage à nul autre pareil.

Cependant le castor tout déterminé qu'il était, n'avait pas accompagné son désir d'une formation idoine. Il embarqua trop de passagers et rapidement le vol connu des soubresauts. Il lui fallait lâcher du lest alors qu'il survolait le parc du château de Chenonceau. Sur le pré en ce lundi de Pâques, des enfants recherchaient des oeufs. Il saisit ce prétexte pour exiger que les deux chauves du panier descendent immédiatement.

Privés de ces deux-là, les autres cessèrent de se faire des cheveux, constatant que le ballon reprenait de la hauteur. Mal leur en prit du reste tandis que Castor jouait du gouvernail pour suivre le cours de la rivière tout en perdant toute vigilance sur son environnement immédiat. Ce fut là ce qui le perdit, lui et ses passagers.

Venant de Rome, une escadrille de cloches rentrait à tire de bourdon, regagner leurs pénates et leurs chers clochers. Le choc fut terrible et sonna le tocsin pour ceux qui churent de fort haut. Dans leur malheur et pour leur édification posthume, ils s'écrasèrent sur un terrier de congénères de leur pilote. Ce dernier échappa à la mort, en plongeant dans le Cher et en se promettant de cesser de se soucier de pédagogie et de tourisme.

À contre-vent