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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Il écrit comme un pied.

Pour tailler des croupières.

 

 

 

Il se peut que cette histoire vous soit arrivée aussi. Elle n'est hélas pas unique et prouve bien que les adultes et leurs sentences définitives, font bien des dégâts sans le savoir. Il convient de s'interroger sur leurs desseins réels quand tombe la remarque qui fait mouche. Veulent-ils briser une existence, en infléchir le cours, mettre en garde ou simplement faire le mal par plaisir ? Il faudrait explorer l'âme humaine pour démêler les arcanes des mots qui tuent.

Jacques était affublé d'une réputation désastreuse. Le malheureux garçon avait, prétendait-on dans son entourage, deux mains gauches qui le condamnaient à les garder dans ses poches quand les autres bricolaient. S'il avait eu l'âme d'un chef des travaux, il se serait satisfait d'une posture des plus confortables mais tout au contraire, il ne désirait rien tant que de donner un coup de main, se rendre utile, apporter sa contribution. Il était rembarré, renvoyé à ses chères études qui constitueraient sa porte de sortie, sa bouée de secours.

Hélas, si le garçon n'était pas dénué d'intelligence, il avait même une certaine facilité à apprendre et surtout à manier les nombres, les problèmes ou répondre aux questions, tout se gâtait dès qu'il prenait un stylo plume dans la main. L'encre avait une fâcheuse tendance de faire des pâtés ce qui lui valut rapidement de s'entendre dire : « Tu écris comme un cochon ! ». Ce fameux animal avec lequel il était condamné à partager la réputation puisqu'il avait, selon les censeurs de la norme : « Une sacrée tête de cochon ! ».

Tout cela allait tourner en eau de boudin. Il voulut calmer le jeu en adoptant une stratégie pour détourner l'attention, réduire l'impression désastreuse qui émanait de ses pages de cahier. Ratures, tâches, mots rayés ou illisibles précédaient les innombrables corrections en rouge qui transformaient son travail en tableau contemporain. Il songea à réduire son écriture, pensant ainsi limiter l'étendue des dégâts.

Le résultat ne fut guère probant. Cependant, il quitta la porcherie pour prendre un peu de hauteur avec une nouvelle accusation : « Tu fais des pattes de mouche ! », étape naturellement qui l'entraîna vers la condamnation définitive : « Tu écris comme un pied ! », car en prime, le pauvre gamin faisait des fautes à chaque mot.

Qu'importe ce qu'il pouvait écrire, le rouge était mis sans nuance ni mansuétude. Les mots de travers semblent dénués de sens pour qui détient le pouvoir de les biffer d'une plume vengeresse. Sous la dictée, c'était une avalanche de zéros et des lignes qui ne changèrent rien à ses déviances. Seul « Toujours » hérita enfin de son « s » final après avoir écrit des centaines de fois la lancinante formule : « Toujours prend toujours un s ! »

L'orthographe dans l'univers scolaire est un préalable à l'écriture, Jacques dut s'enfoncer cette évidence dans sa caboche de cancre. Qu'importe son imagination et ses tournures de phrases, il n'y avait pas à tourner autour du pot ou de l'encrier, il usait ses cartouches en vain sans jamais atteindre sa cible. Rien de bon ne peut sortir d'un texte truffé de fautes. Non seulement, il était renvoyé au coin mais plus encore, traité d'imbécile par ceux qui ont le privilège d'écrire droit, même si c'est fort mal.

Longtemps, Jacques fut condamné au silence. Ses mots heurtaient les yeux des tenants de l'ordre orthographique. Il pouvait bien les dire, prendre la parole mais là encore, sa langue fourchait, un chuintement mouillait quelques explosives tandis qu'un cheveu sur la langue venait compléter le tableau. Il n'en fallait pas plus pour qu'on se détourne de lui.

Il rongea son frein jusqu'à ce qu'une curieuse machine à écrire vienne se mêler de redresser une partie de ses torts. Sans faire de vague, elle lui indiquait la marche à suivre pour orthographier convenablement les mots, lui qui avait la terrible lubie de les écrire selon des critères esthétiques qui n'appartenait qu'à lui. Ce ne fut pas suffisant pour autant. L'accord n'était pas parfait entre l'ordonnateur du lexique et les subtilités grammaticales qui demeuraient incorrigibles.

Les pattes de mouche avaient disparu. Le texte dactylographié prenait naturellement une régularité qui éliminait d'un seul coup les difficultés de déchiffrage. Cependant, dans cet univers aseptisé et uniforme, la faute sautait à la face avec une redoutable virulence. Pire que le nez de Cyrano au milieu de la figure, l'erreur prenait des allures de catastrophe ; on ne voyait plus qu’elle !

 

Jacques ne renonça pas en dépit de tous ces ayatollahs de la norme orthographique. Ceux-là, il n'était pas la peine de les amadouer, un seul mot de travers et ils fermaient les yeux sur la suite, renonçaient à la lecture de ce qui ne pouvait leur apporter que du déplaisir. La forme plus que le fond, c'est bien la marque des esprits brillants.

Alors il trouva des vigies bienveillantes pour prendre la peine de traquer ses petites entorses aux règles en usage dans ce monde étriqué. Il osa offrir ses textes à la curiosité des lecteurs de la vague, leur offrant une petite page de lecture quotidienne. Il avait débarrassé sa production des scories qui donnaient la nausée aux censeurs. Maintenant c'étaient ses mots qui les importunaient. Il avait la plume acide, de celle qui donne parfois le bourdon aux tenants de la pensée inique.

Il trouva il y a peu, sur son chemin, un de ces merveilleux donneurs de leçons qui du haut d'une posture académique lui affirma tout de go : « Moi, je ne lis que des livres bien écrits et je ne supporte la moindre faute d'orthographe ». Fort de cet oukase, l'important ne chercha même pas à savoir ce que pouvait être la production du pauvre Jacques. Celui qui le toisait ainsi avait sans doute deviné qu'il n'était pas né avec un stylo Mont-Blanc en or dans la bouche.

 

Jacques n'insista pas, il savait que ses pattes de mouche avaient franchi le pas pour devenir des jambes de guêpe aux croupières bien taillées. Il écrivait du pied gauche, celui qui peut vous mettre l'humeur en berne. Décidément, il ne changerait jamais, rien n'est bon pour cette tête de cochon. Il s'en moque, si ce n'est pas de l'art, ce sera du lard.

 

À contre-temps.

 

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