Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
30 Août 2010
Descendre à bas fond.
La Loire en cette fin d'été se fait indolente. Elle musarde le long de ses berges pour laisser s'endormir paisiblement les derniers beaux jours. Notre mission est simple
; de Chateauneuf, descendre jusqu'à Combleux un futreau pour la fête ligérienne de ce village magnifique entre Loire et Canal.
Le bateau à fond plat s'enorgueillit d'offrir peu de prise à ces caprices aqueux. Mais, il y a des limites qu'il ne faut pas franchir sur la Loire comme ailleurs ; avoir le
cœur ou le pied sec n'est jamais très agréable en ces temps d'étiage.
Sur notre esquif, nous ne craignons pas ce travers. Nous eûmes souvent l'occasion de mettre les pieds à l'eau pour tirer, pousser, dessabler celui qui ne trouvait plus tirant
d'eau à son goût. La descente prit alors des allures d'épopée et il nous fallut quatre heures pour accomplir ce trajet d'à peine vingt kilomètres.
Le départ du port castelneuvien fut pourtant des plus faciles. Mais hélas, sur la berge, paressaient des dames charmantes et notre commandant de bord, fidèle à la
tradition marinière décida de jouer les gros bras pour satisfaire au plaisir des spectatrices. Nous nous mîmes à la bourde pour sortir dignement de ce port et quitter la perche haute notre ville
d'amarre.
La bourde, pour le quidam terrestre, est un long bâton de bois flanqué en sa grosse extrémité d'un pic en fer qui l'enserre comme un fourreau pour propulser à la manière
gondolière un bateau de 12 mètres de long. Il faut jouer les hercules de foire pour juguler les caprices contradictoires du courant et du bateau.
Hors de portée de nos dames et du village, nous passâmes au moteur. Si le moyen n'est pas traditionnel, il n'en demeure pas moins d'une rare et confortable efficacité. Mais
bientôt il fallut déchanter, l'hélice touchait le fond et nous tout autant ! La bourde redevint notre seul moyen d'aller de l'avant.
Pourtant, en plusieurs occasions, le bain de pieds fut nécessaire pour nous tirer de vilains bancs de sable. La Loire n'est jamais la même, elle est fleuve vivant et fille
capricieuse. Elle aime à défaire son lit, le façonner différemment, tendre des pièges et proposer des impasses à ceux qui veulent la dompter. Cailloux et tourbillons, bîmes et culs de grèves,
contre courant et goulets, elle aime à nous faire tourner en bourrique.
C'est au pont de Jargeau qu'elle se fit la plus indocile. Une barre de calcaire, des pavés qui affleurent, un trop mince filet d'eau, le passage nous semblait impossible. Le
commandant et le mousse quittèrent l'embarcation pour prendre de la hauteur. Sur le pont, ils cherchèrent la voie d'eau, ce passage possible qui nous sortirait de ce piège.
Ils revinrent sur le bateau fort mouillés mais ravis d'avoir aperçu une petite porte étroite entre pile et talus, là où la vague se fait la plus inhospitalière. C'est ainsi
qu'en prenant élan et courage, nous affrontâmes ce goulet d'étranglement. Il s'offrit sans trop de dommage, seule une gaffe passa par dessus bord dans l'agitation lorsque nous embrassâmes un peu
violemment par le flanc un rocher mesquin.
De Jargeau à Combleux, nous mîmes encore les pieds dans l'eau et la bourde fut souvent l'ultime recours pour mener notre grosse barque au pied de la fête. Quatre heures et
beaucoup de moqueries à notre arrivée ; les mauvaises langues prétendant que nous avions traîné comme de vilains piliers de barre.
Bourdement vôtre.