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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Pensées en colimaçon

Sa grande épopée

 

 

Il advint qu'un colimaçon plus communément appelé escargot, petit gris de son état, voulut réaliser un rêve fou. Certains esprits avertis prétendront que les gastéropodes ne rêvent pas, laissons-les baver et poursuivons le fil de cette histoire sans eux…

Pour le narrateur se pose alors, avant de commencer l'histoire, le délicat problème de prénommer un animal qui est, comme chacun sait, hermaphrodite. Par commodité, nous l’appelons Claude, pour ne pas offusquer qui que ce soit et ne donner prédominance au moindre sexe.

Claude, donc, notre agréable colimaçon désirait se bâtir un avenir meilleur de l'autre côté de la rivière avec une idée en tête. Si ce projet ne se fondait sur aucun argument raisonnable, elle ne l'en obsédait pas moins. C'était paradoxalement devenu pour notre camarade un point de fixation alors qu'il n'avait qu'une envie d'ailleurs, bien loin de cette rive ci alors que celle d'en face lui tendait les bras pour un plus loin qu'il n'osait envisager.

Un animal de son espèce aurait-il la moindre chance d'emprunter de son pied unique et visqueux un pont ou une passerelle ? Il y avait de grande chance que l'aventure s'achève sous une semelle ou bien un pneumatique quelconque. Quoique terre à terre, notre ami n'en recevait pas moins, par l'intermédiaire de ses antennes, des ondes négatives l'avertissant du danger encouru. Il devait trouver moyen plus sage ou moins risqué.

Le pauvre animal se faisait du mauvais sang. On peut noter au passage que l'expression ne convenait en rien à la réalité morphologique de ce dernier, mais peut-on reprocher à un petit gris de broyer du noir ? Il envisagea de prendre de la hauteur, de confier son destin à un héron pour l'inviter à le prendre dans son bec lors d'un vol traversier.

Si l'idée était séduisante elle ne tenait pas compte de la gourmandise de l'échassier. Il se murmure même dans les milieux naturalistes, qu'il n'est pas plus beau festin pour un héron cendré que de croquer un petit gris avec de l'ail sauvage. Mais n'est-ce pas là propos déplacés de la part d'anthropomorphistes gourmands ? Toujours est-il que cette perspective lui resta sur l'estomac.

Si la voie des airs paraissait exclue, celle de l'eau lui tendit les bras. Un fûtreau était arrimé à deux pas de là avec à son bord une bande de joyeux drilles, tous flanqués d'un fort joli chapeau. Pour un escargot, des humains portant ainsi sur leur tête ombrelle si imposante avaient de quoi attirer sa sympathie. Ils ne manqueraient sans doute pas de répondre à sa requête pour aller sur l'autre rive.

Notre animal se laissa glisser jusqu'à la planche de rive quand il vit avec effroi que ces diables d'humains mangeaient tout cru un animal qu'ils sortaient par d'adroits coups de canif de sa coquille. Leur forfait accompli, les monstres jetaient dans la rivière la carapace ainsi vidée sans autre forme de procès. Il y avait de quoi se mettre la rate au court bouillon, Claude fit promptement demi-tour.

Claude en vint à considérer qu'il ne devait compter que sur lui-même pour effectuer ce pas décisif. Il lui fallait s'adjoindre cependant un élément pour tenter l'aventure. La Loire était dans une phase de grossissement, elle charriait des branchages et des troncs. C'était là, à n'en point douter, une manière incertaine mais réelle de tenter ce périlleux passage. Justement là, il y avait sur la rive un frêle esquif à sa convenance, l'escargot voulut s'y installer et attendre que les eaux l'emportent plus loin.

C'est alors qu'une famille de castors vint se faire les dents sur ce tronc à l'écorce encore fraîche. La perspective de passer sous ces terribles machines à broyer effraya le gastéropode qui mit son estomac dans son talon, pour aller plus loin, se mettre à l'abri des rongeurs. Il avait eu chaud ! Un nouvel espoir venait de faire long feu. Décidément, l'entreprise semblait inaccessible.

Claude, malheureux comme les pierres, pleurait toutes les larmes de son corps quand une cistude, pleine de sollicitude vint s’enquérir de ses tourments. La petite tortue parut de suite fort sympathique à notre escargot. Il éprouva une sorte de confraternité, de sympathie pour celle qui en avait plein le dos. Il ne douta pas un instant qu'elle comprendrait son désir d'ailleurs, de changer d'air pour y installer sa demeure.

Claude le colimaçon demanda à Gertrude la Cistude si elle accepterait de lui faire traverser cette obstacle naturel, infranchissable pour ceux de son espèce. La solidarité des porteurs de carapace dorsale joua à plein. Gertrude pria Claude de monter sur son dos et c'est en cet équipage que le colimaçon quitta sa rive nord pour s'en aller poursuivre sa quête sur celle d'en face.

L'escargot une fois à bon port n'eut de cesse de remercier une tortue qui n'avait agi que par esprit de solidarité très puissant chez les porteurs d'exosquelettes. Il y avait depuis peu des rumeurs de taxes foncières à leur propos ce qui avait encore plus tissé des liens d'amitié chez tous ces mollusques. Leurs adieux furent déchirants. Claude n'était pas au bout de son chemin.

Le petit gris avait maintes fois entendu les mérites et le charme d'une demeure princière, d'un château en Sologne dont la pièce maîtresse était un escalier à double révolution qui faisait l'admiration de tous. Le colimaçon voulait avant de mourir voir ce chef d'œuvre de l'architecture. Une curiosité telle qu'elle avait mis en branle sa fantastique épopée.

Le chemin jusqu'à Chambord était encore bien trop long pour lui. Claude ne pouvait se satisfaire de ses seules capacités motrices. D'avoir ainsi traversé la Loire sur le dos d'une tortue lui mis la puce à l'oreille. Notre escargot alla s'entretenir avec un autre amateur de verdure en la personne d'un lièvre taillé pour les grands espaces.

Il convenait surtout de ne pas évoquer la cistude, le lièvre en eut pris ombrage et tout au contraire vanter sa vélocité et sa célérité. Claude joua de la flatterie de telle manière que bientôt le lièvre accéda à sa quémande et accepta de se lancer dans cette course folle. Il est vrai que l'animal se prénommait Hubert ce qui le prédestinait à pareille aventure.

Sur le dos d'Hubert, après néanmoins un assez long voyage, Claude arriva enfin à proximité de la demeure Royale. Hélas pour notre escargot, Hubert refusa catégoriquement d'aller au-delà des murailles du Parc qui constituait la réserve de chasse présidentielle. Le lièvre craignait le coup de feu intempestif d'un hôte de la République capable de confondre ses oreilles avec les bois d'un cerf. Il prit ses jambes à son cou laissant choir le pauvre colimaçon.

Le Parc est immense pour qui se contente d'une locomotion par reptation. Que ce fut là une demeure royale le mettait certes en symbiose avec bien des courtisans qui agissaient de la sorte même si ce temps était révolu en apparence. Néanmoins, pour Claude, il devait une fois encore compter sur un tiers pour arriver à ses fins.

Par un incroyable concours de circonstance, une salamandre passa non loin de notre aventurier. Il saisit cette aubaine pour enfin réaliser son rêve et découvrir le fameux escalier. Le petit amphibien était en terre d'adoption dans cette vaste demeure et accepta de prendre sur son dos ce passager clandestin, non muni de billet d'entrée. La salamandre avait ses entrées chez François premier, ce fut une simple formalité pour elle que de déposer Claude auprès de ce chef d'œuvre architectural. L'émotion l'étreignit devant pareille magnificence. Le colimaçon était en pâmoison au pied de l'escalier. Il ne lui manquait plus qu'à le gravir pour toucher à l'extase.

Une fois encore, pour Claude dont la devise était à l'impossible nul n'est tenu, il ne doutait pas un instant que la bonne fortune viendrait à son secours. Elle se matérialisa par la présence sur le sol d'un guide touristique abandonné. Une touriste le ramassa sans être surprise qu'une coquille s’immisça dans ses pages imprimées. C'est ainsi que Claude réalisa sa double révolution avant que de couler par la suite des jours heureux dans ce parc placé sous la haute protection du Président de la République et sous la tutelle des ministres chargés de l’agriculture, de la culture et de l’environnement.

À contre-marche.

 

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L
Délicieux récit, on ne s'en lasse pas des tournures de phrase...
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