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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Prendre un râteau

Ou bien une pelle.

 

 

 

Les temps changent et le pauvre râteau cesse d'être un outil pour venir rejoindre sa commère la pelle dans le lexique des mots dénaturés. Il est donc fort utile il me semble d'examiner à la loupe l'antériorité de l'un par rapport à l'autre, dans l'ordre de la métaphore. Si l'aventure vous semble dénuée de sens, j'expérimente dans l'instant la formule : « Prendre un râteau ! » ce qui vous dispense de poursuivre cette lecture.

Quant aux autres, plus curieux de nature, qui aiment les bonnes feuilles, ils savent que Prévert s'est fourvoyé en prétendant que les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Nous devrions tout d'abord rassembler nos esprits avec ce bon vieux râteau et pour cela prendre le manche avant la peignée.

Pour ceux qui ont un peu d'imagination, il sera aisé alors de transformer ces fameuses feuilles en bulletins électoraux, en dépliants publicitaires ou en professions de foi. Le sol, jonché de ces documents aussi inutiles qu'ostentatoires, vous ne parviendrez pas à comprendre aisément pourquoi on prétend que certains ratissent large alors qu'au contraire, ils abandonnent au vent, ces feuilles mortes de la vacuité et du mensonge.

Autre curiosité de ce couple, râteau – pelle réside dans le paradoxe amoureux. Les jeunes gens le vivent quotidiennement, du moins ceux qui en sont aux balbutiements de l'art complexe de la séduction. Ils rêvent de rouler une pelle, ce qui semble assez contraire à l'usage habituel de cet outil. S'ils s'y prennent comme un manche, ils se retrouvent le bec dans l'eau tandis que les bons camarades ne manquent pas de se gausser en leur affirmant qu'ils ont pris un râteau.

Notons au passage la faculté d'évolution de la langue puisque désormais, on préfère dire : « Prendre un vent ! » ce qui place la formulation dans l'évolution technologique et la réalité des comportements adolescents. L'échec, ne reste plus dans l'ordre du privé, il se donne à savoir, fait même grand bruit sur les réseaux sociaux. On devine par la même que le fameux râteau s'est incliné devant la terrifiante souffleuse d'où ce vent venu de celui qui l'a dans le dos.

Je m'ébahis ici, de l'inventivité langagière et symbolique des expressions en perpétuelle évolution. La mécanisation à outrance du reste impose de ne pas omettre un temps de recharge pour les batteries alors qu'à ma décharge, j'éviterai d'évoquer les acceptions de ce verbe dans l'univers sexuel. Le manque de poésie est alors patent et me laisse pantois.

Le râteau connut son heure de gloire avec le cinéma muet. Abandonné sur le sol, il venait punir le jardinier étourdi qui marchait sur son peigne, malencontreusement tourné vers le ciel. L'effet boomerang provoquait l'hilarité des spectateurs tandis que la pauvre victime le recevait dans le nez. Le coup du râteau valut la célébrité à l'outil tandis que la pelle lui faisait la tête, se sentant déposséder de sa notoriété.

La pelle cependant ne devrait pas se montrer jalouse, même si avec elle, ce n'est jamais du gâteau. Elle a tendance à rouler les mécaniques tout en laissant un nuage de poussière derrière elle. La pelle regrette amèrement les neiges d'antan, celles qui donnaient du sel à son existence et rendaient les trottoirs si glissants que les passants la ramassaient bien vite.

Les feuilles mortes ont pris la place sur les trottoirs et là, le râteau n'y a pas trouvé son compte. Il a été remisé dans le garage ou bien le cellier, chacun comptant désormais sur les engins mécaniques de la ville pour ne plus balayer devant leur porte. Le balai du reste peut lui aussi aller se brosser, il n'entre plus dans la danse des techniciens de toutes les surfaces possibles. Ce n'était pourtant pas sorcier. Ce monde est fou et tous s'y prennent comme des manches pour le rendre moins énergivore.

À contre-manche.

Illustration en tête d'Alexis Franch

 

 

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