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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Ali Gros Bras et les quarante haleurs.

Pastiche du mercredi.

 

 

 

 

Il est parfois amusant de puiser dans la tradition pour trouver une nouvelle source d’inspiration, je vais vous en administrer la preuve tout en évoquant un aspect de la marine de Loire du temps où les hommes tiraient les bateaux de la berge pour remonter le courant.

Il était une fois, une troupe de gaillards qui faisait métier de haleurs. Ils tiraient des trains de bateaux lourdement chargés quand le vent venait à manquer. C’était un travail difficile, pénible et fort mal payé. Ils marchaient avec un harnais autour du buste auquel était attaché une corde en chanvre, ils remplaçaient les chevaux qui ne pouvaient être utilisés sur une rive trop irrégulière. C’étaient eux les bêtes de somme en somme

Ali est le chef de cette redoutable bande de gredins, connue sur toute la rivière et même au delà. Ses gros muscles lui valurent le sobriquet d'Ali Gros Bras ! C'est sans doute ce qui lui mit la puce à l'oreille et lui permit de monter son plan machiavélique d'autant que sa méchante troupe, par une curieuse coïncidence, était composée de quarante costauds, des hommes disposé à tous les mauvais coups avec leur chef.

Ali déplorait amèrement que les haleurs soient si mal considérés. Ils eurent intérêt, sous sa houlette, à se regrouper pour être un peu mieux considérés lors des négociations pour le prix de la course. Ali obtient de ses camarades la responsabilité de traiter en leur nom, le prix de la course avec les marchands. Il était dur en affaires. Des dix huit livres, le prix habituel donné aux haleurs, la bande obtint rapidement vingt livres et beaucoup plus pour le voyage et bien des avantages lors des escales.

La bande se fit un point d'honneur à terroriser les braves gens. Ils dissuadaient les mariniers des sapines : ces bateaux qui font le voyage uniquement dans le sens du courant avant d’être déchirés à Nantes de se louer à la bricole pour leur retour à pied. Pour conserver leur monopole sur le marché du halage, il n'est pas rare de croiser sur le chemin des malheureux affublés d'une grosse bosse sur la tête ou bien un œil au beurre noir.

Ali et sa bande voulurent profiter de leur avantage pour augmenter les bénéficies. Ils montèrent un stratagème pour se faire plus d’argent encore. Qu’importe s’ils devinrent ainsi des bandits de grand chemin, y comprit sur les flots, l’argent justifie bien souvent les procédés les plus discutables. Ce travers se retrouvent dans toutes les activités humaines.

 

La méchante troupe organisa un commerce plus lucratif que leur activité de façade . Comme il ne fallait qu’une trentaine d’hommes pour remonter un train de bateaux leur ingénieux chef occupait les bras inutiles à une besogne beaucoup plus lucrative et totalement clandestine.

Quand le train de bateaux que la bande tirait transportait de quoi attiser les convoitises, la troupe s'arrangeait pour être là au bon moment. Grâce à des arguments frappants et d'opportunes menaces, elle emportait alors le contrat faute de rivaux et préparait tranquillement son larcin avec une minutie digne des princes de la rapine. Les haleurs inoccupés prenaient les devants pour planter dans la Loire des « rotrous » ; ces bâtons de marine ou bourdes, cassés en « bournayant » fichés solidement dans le sable. Bien sûr, ils cassaient eux-même de jolis bâtons bien solides et les plantaient au milieu du chenal pour servir d’écueils discrets. Ces pieux dépassaient à peine de l'eau, ils étaient adroitement aiguisés pour faire grands dégâts dans une coque de chaland.

 

À proximité de la zone piégée par leurs collègues, les haleurs accéléraient le pas pour donner vitesse et force au convoi. Quand tout se déroulait suivant leur plan, le bateau de tête venait se déchirer sur le piège tendu. Le naufrage était inévitable. Les haleurs se faisaient alors sauveteurs, assomment maladroitement l'équipage et emportant tout ce qui pouvait se revendre même après un bref passage dans l'eau.

La bande avait organisé tout un circuit à l'écart des grandes routes avec des charriots pour transporter son butin dans une grotte creusée à même le tuffeau de Touraine . Les canailles conservaient les objets volés quelque temps à l'abri avant que d'en faire commerce discrètement. Il y avait en cet endroit un vrai trésor.

Hélas pour Ali Gros-Bras et les siens, il y avait en ce temps-là une marchandise qui demandait une surveillance particulièrement sévère. Ils mirent la main sur des cargaisons de sel. Ce fut dans le même temps ce qui les enrichit et les perdit. On ne touche pas impunément à ce qui profite au roi ! Ils en firent amèrement l'expérience. Tous les gabelous de la rivière étaient sur les dents afin de prendre en flagrant délit cette bande qu'ils soupçonnaient depuis longtemps. Ils laissèrent se perpétuer une attaque, organisèrent une filature et finirent par découvrir leur cachette.

Un guet-apens fut organisé conjointement par les gabelous et les dragons du roi. Ali Gros-Bras et tous les membres de sa troupe tombèrent dans la souricière. La faute était trop grande et la colère des mariniers tout comme celle de la justice était si forte, que la vilaine bande ne devait pas en réchapper. C'est au bout d'une corde de chanvre qu'ils achevèrent leur ultime voyage ; ils furent pendus et exposés pour l'édification de tous.

Ali Gros et ses quarante haleurs avaient terrorisé durant une brève époque les bords de Loire. L'histoire fit le tour du pays et vogua même vers l'Orient. Mais ceci est une autre histoire. La Loire débarrassée de ces malfrats, la paix put revenir sur notre belle rivière. De cette triste épisode de l'épopée de ma marine fluviale, on doit se souvenir que désormais par superstition, marins et mariniers cessèrent de faire des nœuds de pendus et passèrent maîtres dans l’art de des nœuds marins. D'autres plus sérieux affirment qu'un nœud coulant serait de mauvais présage sur un bateau. Je vous laisse juger de la version qui vous agrée. Quant à moi, je vais de ce pas me cacher dans une grotte de tuffeau, de mauvaises esprit m'accusent d'avoir la langue trop bien pendue et de ne raconter que des sornettes.

Pastichement vôtre.

 

Pour en savoir plus

La Cave aux Sculptures de Dénezé-sous-Doué, œuvre unique en Occident, est située au cœur d'un site troglodytique important. Elle est également mise en évidence dans le roman : Pour quelques grains de folie.

 

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