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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Le syndrome de la doublure.

Ou la peur de prendre une veste …

Il était une fois un homme ambitieux qui se sentait trop à l’étroit dans ses habits de second couteau. Rester à l’ombre de son mentor lui devenait de plus en plus pénible. Il sentait au plus profond de son être qu’il lui fallait prendre de la consistance. Le temps n’était-il pas venu pour lui d’aspirer au rôle titre ? Il savait qu’il possédait en lui l’étoffe d’un jeune premier. Il allait brûler les planches pourvu qu’on lui offre sa chance !

La destinée se pencha sur lui. Ce n’est pas une bonne fée qui éclaira son étoile, elle viendra plus tard dans ce récit. C’est tout au contraire une vilaine sorcière qui brisa un temps la belle trajectoire de son maître. Le pauvre homme, terrassé par la maladie, se résignant à contre-cœur, abandonna la pièce en cours. Il confia le rôle titre à son adjoint, pensant ainsi voir son œuvre perdurer au-delà des vicissitudes de l’existence.

Soudain propulsé sous le feu des projecteurs, le supplétif qui venait de prendre du galon, se sentit pousser des ailes. Regardé de tous, il fit le jeune coq, monta sur ses ergots pour se couler à merveille dans sa nouvelle fonction. Il s’y sentait parfaitement à l’aise, semblant au début être le digne héritier de celui qui l’avait précédé. La tête lui tourna soudainement, il répondit aux œillades des admiratrices, sa vie allait basculer.

Cependant, il lui manquait l’expérience de son ami. Il sentait intuitivement que l’habit était encore trop grand pour lui. Sans plus tarder, il décida de prendre du volume afin de se glisser dans le personnage et acquérir ainsi le poids nécessaire à sa crédibilité. Il devint parfait. Il n’y avait plus rien à redire, si parfait du reste qu’il prit la décision d’augmenter son cachet confondant sans doute sa fonction avec un mandat postal.

Il avait suppléé à merveille celui qu’il avait même fini par faire oublier d’autant plus aisément que son pauvre modèle s’était fourvoyé dans une pièce épique qui tournait à la pantomime. Il avait désormais place nette dans son petit théâtre de province qui ne cessait de s’étoffer. C’est ainsi du reste qu’il agrandit la troupe et son répertoire, prenant la tête d’une compagnie métropolitaine. La gloire était toute proche. Le rideau pouvait se lever sur son irrésistible ascension dans la cité qui reçut Molière durant ses études.

Les circonstances continuaient de lui être favorables. Il avait invité à l’une de ses représentations annuelles un jeune premier très prometteur quoiqu’encore totalement vierge de succès. Le petit puceau des planches fit un tabac. La foule sentait en lui non pas l’étoffe d’un héros mais la toge d’un Dieu Grec. C’est d’ailleurs des cieux et non de la cabane du souffleur que le visiteur entendit une voix lui promettre son triomphe à venir. La suite fut un chemin de gloire pour le visiteur qui triompha dans le rôle de Jupiter sur les scènes du monde entier.

Notre vedette locale se plut à être celui qui avait mis le pied à l’étrier au nouveau monstre sacré du théâtre international. Il lui fallait rester dans son sillage pour jouir à la fois de son prestige et de son immense aura. Hélas, la timidité ou bien une nature hésitante ne poussèrent pas notre gentil acteur à se mettre dans les pas du géant. Il l’appréciait certes mais de là à rejoindre sa grande compagnie, il y avait un pas, que dis-je, une marche même, trop haute pour lui.

Il se contentait de lui faire charmantes œillades et douces promesses. Il approuvait sa manière de jouer, il admirait son répertoire sans pour autant se décider à signer dans sa troupe. Il se prétendait compatible tout en voulant conserver le soutien des seconds rôles de sa troupe locale qui tenaient quant à eux à continuer de défendre un autre répertoire. Le temps pressait, notre homme devait retourner son costume s’il voulait conserver sa place qu’il remettra en jeu prochainement. Les metteurs en scène doivent réclamer les suffrages des abonnées tous les 6 ans, l’échéance approchant à grand pas, il lui fallait se déterminer d’autant plus que son ancien ami s’était refait la cerise et voulait remonter sur les planches.

Le problème insoluble pour lui résidait dans ce simple constat qu’une costumière lui avait glissé à l’oreille : « Retourner un costume de scène c’est prendre le risque de montrer à tout le monde l’état de la doublure… ! » La dame avait raison, il y avait là un écueil redoutable. Que faire ? La seule manière de se sortir de ce drame est de monter une nouvelle pièce afin de régler symboliquement le cas de son prédécesseur.

Le choix était cornélien. Quelle pièce jouer ? Il y avait bien la tragédie de William Shakespeare : « Jules César ! » mais notre homme ne pouvait pas la jouer en anglais. On lui proposa de se tourner chez monsieur Voltaire pour jouer « Brutus ». Il sentait bien que le risque était grand qu’on le compare au rôle titre.

Si le choix de l’auteur était excellent ; Voltaire passa un long séjour dans un château voisin à Sully-sur-Loire, c’est la « Mort de César ! » qui eut sa préférence. La troupe se préparait activement à jouer cette pièce. Il serait nécessaire du reste d’apporter quelques modifications à la composition de la troupe. En effet, il se murmure qu’une autre compagnie se monte dans la grande cité pour créer : « Britanicus» de Racine. Nous vous en dirons davantage quand le rideau sera levé sur ce nouveau rebondissement.

Théâtralement leur.

 

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