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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Le Betteravier et la safranière

 Il est des victoires qui exaltent, d'autres qui abâtardissent.
 Des défaites qui assassinent, d'autres qui réveillent "

Antoine de Saint-Exupéry


    
Il y a bien longtemps, il était un peuple rude et opiniâtre qui connaissait le pris du sang et de la sueur, la douleur des ampoules aux mains et des engelures aux pieds.

    Chaque matin, petit betteravier empoignait le manche de sa binette et s'en allait aux champs pour retirer la mauvaise herbe. Et du matin au soir, il sarclait, sarclait, sarclait …
Entre la dimension ridicule de son outil et l'immensité de la plaine, l'homme se savait peu de chose dans ce combat inégal qu'il affrontait sans rechigner.
    
    Avec la ténacité de celui qui n'a finalement rien à perdre, il s'échinait de l'aube au crépuscule pour abattre cette tâche titanesque. Et tel le tonneau des Danaïdes, à la fin de son œuvre; dame nature avait repris le dessus et tout était à refaire.

    Sans émettre la moindre plainte ni la plus petite contestation, notre courageux croquant s'en retournait à son ouvrage ! Toujours affronter la réalité. Sans cesse subir les éléments. Jamais renoncer face à l'adversité. À aucun moment jeter le manche et s'enfuir !

    Betteravier il était, betteravier il est, betteraviers seront les siens. Une évidence, une fierté !
Et le jour où il abandonnera sa Terre, ce ne sera pas en mettant les ailes de la fuite à ses godillots, il s'en ira dignement engraisser cet humus qui avait recueilli sa sueur et ses larmes.

    Cette histoire remonte à un temps où l'homme avait gravé en lui un mot essentiel alors et si rare aujourd'hui : «  DIGNITÉ ! »

    Puis vint l'ère de la mécanisation et de la chimie, la binette se cassa, les tâches furent simplifiées pour laisser à chacun le temps de jouir de son bon plaisir.
Ne penser qu'à soi, ne vivre que pour soi et n'envisager que sa petite personne...

    Ne plus s'inscrire dans un continuum, dans un clan, un groupe, un village, une paroisse, une province, un pays. N'exister qu'à travers ses envies, ses désirs, son confort, ses besoins, ses frustrations et ses colères.
Oublier ses proches pendant l'averse !
Gommer ses obligations durant l'orage !
Effacer ses responsabilités dans la tempête !
Rayer sa dignité dans la tourmente !

    Alors, certains de ceux qui se pensaient betteraviers ne sont que de pauvres safranières courbées devant les stigmates rouges sang ! Elles portent le deuil de leurs espérances. L'émondage se pratique que du bout des doigts et ceux qui se voyaient forts et puissants se consacrent maintenant à une tâche délicate, ingrate et fastidieuse.

    Si ce travail est noble, si le safran est l'Or du Gatinais, un souffle de vent peut envoler les nouvelles illusions de ces gens de peu.

Désespérément vôtre.
BR
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