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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Incipi

Au fil des mots.

 

 

 

À l'instar de ce qui se joue sur le pré ovale, ce coup d'envoi a pour mission de donner le ton, d'introduire d'entrée de texte, le climat de ce qui va suivre tout en imposant un rythme, une langue, un ton. À la fin de ce premier envoi, l'auteur doit toucher sa cible, sans pour autant rien dévoiler de ses intentions. Toute la magie de l'incipit réside dans un dosage savant de musicalité et de sens, de mystère et de clarté.

 

Il est à n’en point douter l'art des contraires, la manière de séduire sans pour autant déblayer le chemin de façon trop abrupte. Il laisse en suspens le propos, instille plus qu'il n'expose, insuffle sans imposer, invite sans ouvrir grandes toutes les portes. Il réclame de la nuance, du contre-point, prince de la suggestion sans exposition.

 

Le clair-obscur est son royaume. Il tamise le premier propos d'une lueur incertaine, d'un flou artistique qui vous prend par la main, les yeux bandés pour ne point repérer la ligne d'horizon. C'est un concentré d'introduction, de l'huile essentielle d'une écriture qui puisera toute son énergie et sa vitalité dans cette substance initiale.

 

L'incipit est un halo qui quoique placé au premier plan, semble venir de la toute dernière phrase. Le fanal dans le brouillard cherche à vous montrer un chemin qui n'est sans doute pas clairement défini dans l'esprit de celui qui couche ses mots initiaux qui se plaisent à lui résister. Sans cesse, sans fin, cette ouverture sera reprise, modifiée, infléchie, nuancée, raturée, rayée, réécrite sans que jamais, ô grand jamais, elle ne satisfasse son auteur.

 

Tout se joue là et non dans cette maudite quatrième de couverture qui se plait tant à divulgâcher le propos, à en dire trop ou mal, à semer des repères à moins qu'il ne s'agisse de perdre le lecteur. L'incipit est de la seule responsabilité de l'auteur tandis que trop souvent, c'est un tiers qui vient semer le trouble par ce texte dorsal écrit à rebrousse-phrase.

 

À d'autres moment, l'incipit se contente de se faire bouteille à la mer, ce vaste océan qu'il faudra traverser sans encombre pour déposer un point final avant que de toucher terre de l'autre côté du mystère. L'écrivain se jette à l'eau, plonge imprudemment sans prendre de précautions. Sans se mouiller la nuque, sans penser véritablement son geste, il prend la plume pour survoler le gouffre qui le tourmente.

 

Jamais il ne sera satisfait de ce premier jet, de ces premiers mots qui sonneront toujours un peu le creux, n'égaleront jamais la clarté envoûtante de ce, « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. », modèle de concision chez un auteur qui pourtant n'est pas un adepte de la phrase courte. Il semble impossible d'égaler cette perfection, ce qui justement poussera l'artisan à toujours remettre son ouvrage sur le métier d'autant que le traitement de texte a cette formidable perversion de faire disparaître les tourments et les reliefs.

 

Le début, l'ouverture, l'entrée, la porte grande ouverte … qu'importe comment qualifier cet incipit n'oublie pas ses origines latines : « incipere » -commencer- certes mais c'est ainsi qu'on se perd tout autant dans une recherche vaine de perfection. Commencer pour ne jamais finir ou plus exactement revenir sans cesse sur ce commencement qui devient obsédant.

 

Vous vous interrogez à juste titre sur le pourquoi de ce texte étrange. C'est qu'une conversation a mis sur mon chemin un terme dont j'ignorais tout jusqu'alors. Bienheureux, j'ignorais alors dans quel tourment son évocation me plaça d'autant qu'il était question d'un concours de nouvelles avec trois incipit possibles.

 

    • La nuit avait été étrange. Elle avait commencé à onze heures.

    • Il mit cinq jours à découvrir où il habitait.

    • Je ne sais pas trop pour où commencer.

 

Que croyez-vous qu'il advint dans l'esprit retors qui est le mien ? Au lieu de me saisir de l'une des trois propositions et de laisser aller le flot de mes mots, je décidai de monter un récit en trois temps, pour chaque entame suggérée. J'en perdis le sommeil pour assembler un dispositif acceptable.

 

Au petit matin, je n'avais plus à me préoccuper de l'incipit. Il m’avait été donné. Je n'avais plus qu'à me jeter dans les mots.

 

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F
Un bien joli texte que je voudrais encore plus joli avec ces quelques corrections : <br /> réécrit (et non récrit)<br /> à rebrousse-phrase (il faut le trait d'union comme pour à rebrousse-poil)<br /> envoûtante (ne pas oublier le e)<br /> ajouter une virgule après la citation de Proust et avant modèle<br /> décidai (et non décidais, les autres verbes de la phrase étant au passé simple)<br /> <br /> Il est sûr que son contraire, explicit, a donné le verbe expliciter, même si, actuellement, on utilise le néologisme excipit qui a donné excipient, qui correspond à l'enrobage du principe actif d'un médicament. Alors on détaille ou en enrobe en quatrième de couverture ?
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C
Florence<br /> <br /> Merci pour ces corrections et cette précision explicite