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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Une canonnière sur la Loire

La triste aventure de Joseph, le marinier

 

 

 

Il advint que l'époque révolutionnaire troubla énormément la vie paisible des mariniers. Il y eut tout d'abord la terrible embâcle de la fin janvier 1789, qui après 5 semaines d'un gel à pierre fendre, provoqua une terrible vague qui laissa bien des embarcations dans un piteux état pour celles qui survécurent à cette catastrophe.

Il y eut ensuite une période troublée pour le commerce avec les agitations qui venaient de la Capitale, les désaccords idéologiques qui scindaient les syndics et les confréries, la chute d'une partie du commerce. Une curieuse époque pour tous ceux qui jusqu'alors, faisaient leur train sans se soucier de la marche d'une société, qui pourtant n'avait rien d'équitable.

Parmi ces mariniers qui se situaient par déformation professionnelle sans doute, là où le vent les pousse, il y avait un certain Joseph, plus connu sous le sobriquet « Le Culot » puisqu'il était le dernier né d'une grande famille de mariniers dont tous les garçons avaient embrassé cette profession exigeante quand les filles, pour ne pas déroger à la tradition avaient elles aussi épousé des gars qui vont sur l'eau.

Le Culot, nous l’appellerons ainsi puisque c'est sous ce surnom qu'il était reconnu sur tout le cours de la rivière, aurait très bien pu se nommer le Boiquat, l'autre terme berrichon pour désigner le plus jeune d'une longue lignée. Il portait fort bien son surnom tant il était aventureux, faisait preuve d'un esprit d'initiative face au danger que certains, plus sages, qualifiaient d'imprudence. Mais pour sa décharge, il avait grandi sur les chalands dès l'âge de 8 ans en compagnie de ses frères aînés en acquérant ainsi une connaissance sans pareille de l'art complexe de naviguer sur la Loire et ses affluents.

La vie de Le Culot bascula en cette année 1793 quand son chaland et lui-même furent réquisitionnés par les soldats de la République pour mâter les événements de Vendée et de l'Anjou. Catholique par tradition plus que par conviction, notre brave Joseph n'entendait pas grand-chose à ces histoires de curés, réfractaires ou non, qui mettaient semble-t-il à feu et à sang, une grande partie de l'Ouest du pays.

En effet, dans le nord de l’Anjou, tout comme le Maine ou la Bretagne à l'exception du comté nantais, s'il n'y aura pas une révolte massive comme en « Vendée », ils connaîtront des troubles qualifiés de Chouannerie, une forme de rébellion sporadique très mobile d'une extrême virulence. Le commerce fluvial une fois encore avait subi de plein fouet ce qui s'apparentait à une guerre civile. Dès 1792, des troubles nécessitent l'envoi de volontaires face à cette Jacquerie, selon le terme employé alors. Rapidement, les choses tournent vinaigre pour la République tant la détermination renforcée par une foi chevillée au cœur, donnent un avantage considérable aux insurgés.

En mars 1793, il fallut organiser un comité de navigation pour instaurer une défense fluviale sur la Loire, frontière assez poreuse entre ses rives nord et sud. Nombre de coups de mains sont perpétués dans la Loire du bas si bien que les autorités, en plus des troupes font appel à des mariniers pas nécessairement volontaires dans cette affaire qui les dépassait largement. Notre ami Le Culot sera de ceux qui verront sans trop comprendre pourquoi, son chaland vidé de ses marchandises pour en faire une canonnière tout autant qu'un bateau de transport des troupes. Le malheureux n'eut du reste pas son mot à dire dans cette réquisition qui allait bouleverser son existence.

Si au début, il trouva pour le moins assez pittoresque de voir son cher Vardiaux grimé en bateau de guerre, s'amusant même des essais de ces deux canons fixés sur le pont avant, il déchanta rapidement quand se fut des tirs sur de braves gens sans défense. C'est ainsi que son baptême du feu – si cette expression demeure opportune dans un tel contexte – eut lieu dans la nuit du 24 au 25 mars 1793 quand trois bateaux, dont le sien, armés comme vous l'avez découvert, remontèrent la Loire jusqu’à Oudon pour débusquer les rebelles dans les îles qu’ils avaient occupées et permettre aux embarcations de commerce qu’ils avaient arrêtées de reprendre leur route. L'opération se heurta à un vent récalcitrant, ce qui ne fâcha pas notre marinier, qui n'était guère enthousiaste à l'idée de tirer sur ses semblables.

Par la suite, après diverses escarmouches et surtout un rôle d'escorte qui convenait mieux à notre ami pour de grands convois de chalands de commerce, il participa en juin de cette même année à de véritables opérations guerrières, tirant sur des villages, frappant des familles et des enfants. Joseph en était malade quand il fallut empêcher les troupes du général Chouan, un certain Charette, de traverser le fleuve.

Il connut alors un profond trouble, une crise de conscience qui le fit plonger dans l'effroi le plus absolu lorsqu'il fut le témoin des atrocités de la république. Des noyades furent perpétrées sous ses yeux à l'imitation d'une méthode qui fit la réputation de l'immonde Carrier, représentant du pouvoir à Nantes qui à partir de novembre 1793 envoya par le fond des toues cabanées emprisonnant de pauvres gens.

Notre pauvre Le Culot assista à pareille horreur au Pont de Cé et en héritera d'une profonde aversion de la navigation. C'était désormais une épave, un pauvre bougre qui obéissait aux ordres à contre-cœur sans trop savoir ce qu'il faisait. Il devint si incompétent du reste à la manœuvre qu’il fut rendu à la vie civile.

Le Culot s'en revint chez lui dans un tel état mental que les siens eurent bien du mal à penser que c'était le même homme. Il n'était plus question de lui demander d'embarquer ni même de travailler au bord de l'eau. Il passait son temps dans les tavernes ou chez lui, buvait au goulot des bouteilles de vin qu'il sifflait jusqu'à tomber d'ivresse.

Alors qu'il tenait des propos incohérents, évoquait des épisodes si terrifiants que personne dans son entourage n'osait accorder crédit à son récit, il se saoulait du matin au soir, hurlant à chaque gorgée : « Encore un coup de canon ! » Le pauvre marinier ne tarda pas à partir en quenouille, sa santé se dégrada si vite qu'il rejoignit dans l'autre monde ceux qu'il avait combattus contre son gré.

Son nom ne resta pas dans l'histoire comme nombre de victimes qu'on qualifie de collatérales dans la folie des va-t'en-guerre. Seule resta une curieuse manière de qualifier un verre de vin. Boire un canon rentra dans le langage courant sans que ceux qui l'employèrent sachent qu'ils faisaient là référence à ce pauvre homme.

J'avais envie de restituer ce terrible épisode de notre histoire de Loire. Ce ne fut du reste pas la seule occasion où la rivière changea de couleur pour devenir toute rouge de honte devant les folies dont seuls les humains sont capables. Ayons une pensée pour ce brave Joseph et toutes les victimes dans les deux camps de cette affreuse barbarie.

À contre-histoire.

 

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L
Google ne sait pas me dire ce qu'est un vardiaux.<br /> <br /> Son embarcation devait être solide pour accueillir deux canons à l'avant...<br /> <br /> Pour boire autant, faut avoir de l'argent !
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C
Vardiau<br /> <br /> Herbe sauvage des bords de Loire