12 Juin 2023
Véhicule à roue poussée
à l'aide des mains.
Dans cette époque où tout ce qui ne bénéficie pas d'un moteur électrique va rentrer précipitamment dans le musée des incongruités obsolètes, il serait temps de dresser un mausolée à l'une des plus brillantes inventions d'une humanité qui usait encore de sa force physique à des fins non sportives. Je sais que ce récit va laisser pantois les futurs culs de jattes qui ont aboli l'utilisation de leurs membres à des fins de locomotion.
Mais revenons à l'objet de notre admiration : la brouette. Synthèse du génie humain, elle est un concentré d'ergonomie et de fonctionnalité à une époque où ces mots n'avaient même pas lieu d'être. Une roue en bois, deux brancards et un petit tombereau, réceptacle de tout ce qu'un individu peut vouloir transporter, un modèle de rationalité avec l'ère technologique.
Seul petit bémol pour cette merveille de l'esprit humain, les étymologistes ont commis une grave erreur en allant quérir une racine erronée. En effet venu du latin, « birota » qui désignait un véhicule à deux roues, elle se perdit dans des acceptions douteuses qui de la biroute chère aux carabins la fit basculer dans la fameuse brouette javanaise dont nous tairons l'usage.
À ce stade il est important de rendre à Ko Yu, la création en Chine au premier siècle avant un certain JC qui aurait fort apprécié de connaître la brouette pour porter sa lourde croix. Notre héros Chinois se serait inspiré du mouton pour créer ce merveilleux instrument dans sa volonté de déplacer les montagnes.
L'outil cependant, sans doute faute de disposer d'utilisateurs renommés, aventureux et célèbres resta longtemps inconnu des européens qui disposaient alors de serfs corvéables à merci qui n'avaient nullement besoin d'un coup de main technologique. Elle n'y fut introduite qu'au XIII° siècle ce qui prouve qu'à l'époque les produits chinois n'envahissaient que fort lentement notre continent.
La brouette connut bien des usages respectables même si son contenu ne fut pas toujours de première fraîcheur. Elle se paya même le luxe de se munir d'une voile pour faciliter sa propulsion. La brouette en effet se pousse indubitablement même si certains esprits retors prétendent le contraire. Notons à ce titre un contre-sens manifeste qui est l'apanage des décorateurs de ronds-points. Faire d'une brouette chargée de géraniums une attraction constitue une hérésie sémantique.
Mais revenons à notre mouton à roulette. Pour les pinailleurs, je tiens à préciser que la brouette a engendré un avatar qui fera couler beaucoup d'encre à cause d'une mauvaise utilisation. Le diable est dans les détails certes mais aussi dans l'apport d'une seconde roue à notre chère brouette tout en modifiant sa structure. Oublions celui-ci pour revenir à notre cher véhicule rustique.
La brouette ne se conçoit qu'en bois. Prétendre le contraire serait faire preuve d'un modernisme qui conduit aux pires horreurs. Elle craque, roule de guingois, se fissure et sème une partie de son chargement en cours de chemin, surtout si des nids de poule ou des ornières viennent se dresser sur son passage. Elle se plaît également à laisser des échardes dans les mains de son propulseur qui complétera le tableau avec quelques ampoules.
À ce propos, porter des gants pour la pousser constitue à n'en point douter une insulte à la belle. Il convient d'assumer les risques inhérents à son usage tout terrain sans recourir à des stratégies d'évitement qui vous pousseraient bien vite à la munir d'un moteur. L'utilisateur de brouette appartient à une confrérie qui exige une déontologie sans faille ni compromis.
Au terme de ce billet, je m'aperçois que nous ne sommes pas plus avancés. Il est vrai que la brouette n'est pas conçue pour les grands voyages. Laissons-là demeurer la reine du jardin et du chantier tout en évitant scrupuleusement de l'aménager pour des usages de loisir. Seule la sieste peut trouver grâce à son essieu et c'est justement l'heure de m'y coucher confortablement.
À contre-mobilité.
Brouettes
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Une brouette urbaine rua dans les brancards
Après qu'elle eut roulé sur un nid de poule
Est-ce là le détestable fruit du hasard
S'enquit celle qui venait de perdre la boule ?
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Son pousseur voulut prestement la rassurer
Quoique assez semblable à une remorque
La demoiselle n'est pas en mesure de tracter
Bien qu'elle fut inventée par un chinetoque
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L'ingénieux outil s'indigna dans l'instant
Qu'on puisse insulter le vénérable Ko Yu
Qui lui donna naissance il y a fort longtemps
Pour rouler des chemins semés de cailloux
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C'est en s'inspirant du mouton qu'il inventa
Cette merveille de technologie rudimentaire
L'humanité réalisait un précieux pas
Quoiqu'une seule roue la reliait à la terre
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Depuis, celle qu'on prit alors pour une biroute
Se moqua superbement de la confusion
En écrabouillant des œufs, elle eut un doute
Sur l'état de son essieux par contagion
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Une bérouette champêtre s'indigna
Que, pitoyablement laissé sur un rond point
Pour servir de potiche à des pétunias
Elle achève son existence dans ce tintouin
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Elle qui vécut de l'air du temps à la ferme
Dans le doux parfum du lisier et du fumier
Subit honteusement sur son épiderme
Toutes les agressions du transport routier
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Elle aimerait à nouveau rouler sa bosse
Gambadant dans les ornières et chemins creux
Sans jamais se confondre avec un carrosse
Elle qui se plaisait au service des cul-terreux
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Un paysagiste sans la moindre jugeote
La condamna à servir de toile de fond
Pour des automobilistes qui ont la bougeotte
Immobile et inutile elle se morfond !
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L'une comme l'autre se sentent déplacées
La première pour une bricole se tracasse
Quand la seconde véritablement courroucée
Adorerait qu'on la remette à sa place
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Brouette des villes ou bérouette des champs
Bien que chacune voit midi à sa porte
L'une est chafouine quand l'autre en contrechamp
N'est-ce donc que de l'humeur qu'elles transportent ?
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Tableaux de Georges Laugée