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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

L'écureuil et la taupe

Contre nature, j'en doute ?

 

 

Un écureuil se morfondait d'amour pour une taupe qui assez curieusement le prenait de haut. L'un, confit d'une passion sans limite, passait son temps à scruter le plancher des vaches à la recherche d'un indice, d'un signal évoquant la présence de son amoureuse. L'autre, jouant sans doute à cache-cache avec ce curieux galant, prenait un malin plaisir à creuser des galeries innombrables tout autour de l'arbre sur lequel le rongeur avait élu domicile.

De ce curieux marivaudage qui ne risquait nullement d'aboutir à une véritable rencontre, tant les lois de la génétique des espèces émettent de sérieux doutes sur l'éventualité d'une union contre nature, seul le sol en était bouleversé.

Tout autour du pin de l’écureuil, des taupinières en cercles concentriques produisaient un curieux signe cabalistique, un message impossible à interpréter pour les humains rationnels. D'autres au contraire, cherchaient à comprendre ce mandala énigmatique, persuadés qu'il y avait une relation entre l'emplacement des mottes de terre autour de ce pivot dressé vers le ciel, et le mouvement des étoiles dans le ciel.

La taupe quant à elle, ignorait tout du mouvement des astres, ne sortant de sa nuit souterraine que pour percevoir les sifflements, grognements et petits cris dont le gratifiait l'habitant de l'arbre. À mesure que ces signaux se répétaient, ils émurent la belle fouisseuse qui se piqua d'être émoustillée par l'intérêt que lui portait ce rongeur apparemment inaccessible.

Car comprenez-le, en dépit d'une passion qui accaparait totalement toutes ses pensées, cet écureuil était d'une timidité maladive qui lui interdisait de venir sur le sol déclarer sa flamme à la petite taupe laborieuse. Quant à cette dernière, plus entreprenante, elle ne voyait pas comment faire de véritables avances à celui qui avait fini par conquérir son cœur.

Leur éventuelle union était dans l'impasse. La taupe avait beau creuser le problème sous tous ses aspects, elle ne s'imaginait pas monter à la cime du pin pour rencontrer cet amoureux maladroit. Elle se contentait donc d'aménager une formidable demeure souterraine pour accueillir peut-être un jour prochain son curieux soupirant.

Une tourterelle, fidèle à la réputation de ceux de son espèce, avait remarqué ce curieux manège. Elle se mit en demeure d'expliquer à l’écureuil qu'il aurait tout à gagner à effectuer un rapprochement avec celle qu’il ne cessait de convoiter ainsi. Pour convoler lui dit-elle, il faut parfois se jeter à l'eau.

Quoique amoureux, l'animal n'était pas au fait de l'expression métaphorique. Déjà que de convoler ne lui disait rien qui vaille dans le bec d'un oiseau, percevant là une douteuse ironie mais qui plus est, il ne voyait pas goutte autour de son arbre. Pourquoi diantre cette blanche colombe voulait-elle l'envoyer prendre un bain ?

Le propos lui mit la puce à l'oreille si bien qu’il en vint à douter de son hygiène corporelle. Il savait pour l'avoir ouïe bien des fois dans la forêt que la taupe avait un odorat particulièrement développé. Il lui faudrait sans doute faire un brin de toilette pour avoir quelque chance de susciter de doux sentiments chez la demoiselle.

Il en était là de ses interrogations quand un hanneton, témoin de la scène se dit qu'il pourrait donner un coup de pouce à cette romance mal engagée. Le coléoptère se souvint avec gratitude de ce qu'il devait à la taupe lorsqu'il était à l'état larvaire. Quoique n'ayant pas beaucoup de temps à perdre durant sa vie si brève, il entreprit de redescendre sous terre pour en toucher deux mots à la dame.

Hélas, la taupe n'en fit qu'une bouchée. La force de l'instinct la priva d'une information qui de toute manière lui eut été de peu de secours. Elle n'était pas en mesure de grimper à l'arbre, fut-ce pour y connaître le vertige de l'amour. Elle demeurerait à jamais au trente-sixième dessous sans jamais connaître le septième ciel. Il y avait véritablement trop de différence entre eux.

Pourtant la taupe poursuivait son travail de sape sans se douter qu'elle mettait en danger le perchoir de son écureuil. Elle fit tant et si bien qu'elle mit en danger les racines du mâle qu'elle avait fini par chérir. Le pauvre écureuil chut la tête la première pour s'écraser au sol, museau contre museau avec la gentille taupe.

Ce fut une étreinte brève, fugace mais intense. Ils sentirent tous deux des frissons et l'immense fierté d'avoir dépassé les lois de la nature. Ce fut un moment de courte durée car l'arbre qui avait vacillé en provoquant la chute de son hôte, finit par choir dans un fracas énorme. Il écrasa ceux qui ne connaîtront jamais l'amour.

Les deux corps furent retrouvés par un enfant ému par ces deux êtres merveilleusement enlacés en leur dernier instant. Le gamin percevant sans doute la tragédie qui s'était jouée là, se mit en demeure de construire un cercueil commun pour la taupe et l’écureuil. Il eut dans un premier mouvement le désir de le construire avec l'arbre qui avait provoqué leur fin mais il se ravisa.

Le pin n'était pas digne de recevoir les dépouilles de ces deux amoureux. Il lui fit une boîte en chêne et comme il aimait beaucoup les fables de La Fontaine, lui offrit un délicat tapis de roseaux. Quand il les mit en terre, une tourterelle à moins que ce ne fut une colombe perdit une plume qui tomba au pied de l'enfant. Il la ficha dans la terre pour marquer cette tombe.

Peu de temps après, l'enfant, encore ému par ce drame auquel il avait été le témoin, entendit un prédicateur excité évoquer les unions contre nature, avec véhémence et fureur. Le gamin lui raconta cette histoire qui cloua le bec à cet oiseau de mauvais augure. Il est fort probable que ce triste personnage se tut, surtout de n'en avoir rien compris.

À contre-nature.

 

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