Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

À Tort et à Travers

Sans discernement aucun !

 

 

Il s'appelait Tort, ce qui explique sans aucun doute qu'il voulait toujours avoir raison. Elle se nommait Travers ce qui ne l'empêchait alors nullement de marcher droit et la tête haute. Qu'ils se trouvent tous deux flanqués ainsi de patronymes si peu simples à porter ne leur suffisaient pas, il fallut en somme qu'ils complètent le tableau, en cherchant à se trouver l'un l'autre en harmonie.

Tort demanda la main de Travers qui d'un revers de celle-ci la lui accorda sans trop réfléchir. Tort était un beau ténébreux, Travers une charmante luronne à forte poitrine. Pardonnez-moi ce raccourci peu flatteur mais c'est ainsi que son époux l'avait jugé au premier coup d'œil. Il est des impressions trompeuses qui vous conduisent à bien des regrets, comment pouvait-il en être autrement pour celui qui trop souvent déraisonne.

Travers quant à elle avait longtemps marqué ses distances avec ce curieux soupirant qui ne lui disait rien qui vaille. Quand il la regardait, elle se sentait déshabillée du regard, rabaissée à un simple objet de désir. Elle prétendait à plus de considération qu'une simple et vulgaire attirance physique.

Tort et Travers de guerre lasse unirent leur destin. La vie n'est certes pas un long fleuve tranquille mais de là à en faire un torrent tumultueux, il fallait faire preuve de déraison pour se lancer dans pareille aventure. Tort en ce domaine était passé maître, une sorte d'expert, capable de se lancer tête baissée dans les plus mauvaises expériences, attiré par les coups tordus et les personnages infréquentables.

Travers résista le plus possible à ses avances, sentant qu'elle n'aurait rien à gagner dans cette aventure. Elle ne fut pas déçue et longtemps elle se maudit d'avoir cédé par lassitude, par crainte de laisser passer la dernière occasion qui s'offrait à elle. C'était encore un temps où coiffer Sainte Catherine était une condamnation sans appel à la vie de vieille fille.

Tort, une fois le contrat de mariage en poche cessa de perdre son temps en gracieux sourires, en gentilles déclarations, en propos plaisants. Il se montra tel qu'en lui-même, imbu de sa personne, hautain et méprisant. Sa pauvre épouse découvrait un tyran domestique, un bon à rien et un mauvais en tout, pourvu qu'il laisse un vilain goût à son passage.

L'enfer du quotidien, ils le découvrirent dès que la porte de leur appartement se refermait, laissant le monde en dehors de ce jeu de dupe. Tort ne faisait rien, exigeant que Travers se pliât en quatre pour lui simplifier l'existence. Elle était sa servante, sa domestique, son souffre-douleur et son esclave sexuelle. Et quand de temps à autre, celle-ci se rebellait, elle recevait une pluie de coups pour la remettre dans le droit chemin.

Tort, s'il avait la main leste, l'avait judicieuse. Jamais un coup ne laissait de trace. Il avait le souci de l'opinion des voisins. Jamais un bruit plus haut que l'autre également. Son emprise, sa tyrannie s'exerçait en douceur, tout en délicatesse si j'ose dire. En public, les salamalecs à son épouse faisaient bonne figure tandis que la pauvrette aurait été bien en peine de montrer ses ecchymoses et plaies.

Travers souffrait en silence, n'ayant personne qui puisse écouter une plainte sans preuve. Elle se desséchait, s'étiolait, s'enfermait petit à petit dans cette toile d'araignée que lui avait tissée son tourmenteur. Comment se plaindre quand elle disposait de tout le confort matériel que ses amies lui enviaient ? Comment faire entendre sa misère quand elle ne manquait jamais de rien ?

Tort avait gagné la bataille des apparences, Travers perdu celle de la compassion. Elle n'avait plus qu'à se perdre à elle-même pour s'évader d'une prison sans barreau, d'un maton sans matraque, d'un bourreau sans sévices visibles. Elle plongea dans le vide, celui d'une dépression qui vous laisse sur le carreau, absente à vous-même, vide de toute sensibilité. Elle ne compléta pas la longue liste des féminicides, mais son sort était-il si différent de celui de ces malheureuses ?

 

À contre-sens.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article