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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Balles et grumes ...

Dans le brouillard.

 

 

 

Il advint en ce temps lointain qu'un chaland arriva dans un grand port ligérien avec un chargement volumineux, certes, mais d'un faible tonnage. Les mariniers eux-mêmes avaient été surpris de cette incroyable écart entre le volume de la marchandise chargée à Nantes et son poids. L'un d'eux d'ailleurs s'était exclamé : « ces grosses balles, sont légères comme de la plume ! » Il ne croyait pas si bien dire.

Pour la première fois, du coton venu du nouveau monde arrivait ainsi par la Loire. Si le produit était connu depuis des temps immémoriaux, il demeurait un luxe pour le commun qui s'habillait de lin, de laine et de chanvre. Cette fois, l'industrie des filatures allaient pouvoir se développer dans nos régions.

Le chargement en question attira la curiosité des badauds et notamment des enfants qui ne tardèrent pas à trouver un jeu tout nouveau. Les plus hardis se jetaient du haut d'un énorme tas de bois, comme il y en avait souvent sur nos quais, sur les balles qui s’amoncelaient sur le pont. Un vrai plaisir que de voir ainsi la chute amortie par ce réceptacle si moelleux.

Bien vite, la nouvelle se répandit dans la cité et tous les petits diables en mal d'espièglerie vinrent faire le grand saut. L'équipage, pour son malheur, avait décrété de fêter son arrivée à bon port en allant vider des chopines dans une taverne du coin. Le chargement était ainsi offert à la fantaisie des enfants qui s'en donnaient à cœur joie.

Si les balles résistaient gaillardement aux chocs multiples que leur infligeaient les gamins, le tas de bois se trouva au fil des ascensions en grand danger de rupture. Les grumes ont l'incontestable défaut de manquer de stabilité quand elles perdent leurs racines et la verticalité. Ce qui devait arriver finit immanquablement par échoir.

Fort heureusement, ceci advint alors que le plus gros de la troupe des voltigeurs et voltigeuses avait répondu à l'appel de la soupe. Il restait là un dernier intrépide qui voulait s'offrir un ultime plongeon avant que de rejoindre la table familiale. Quand une grume se déroba sous ses pas, léger comme un papillon, il eut la présence d'esprit de plonger dans le chaland, d'y faire un rouler-bouler pour finir sa cabriole dans la Loire.

Bien lui en prit car son petit battement d'aile venait de mettre en branle un processus qu'un adulte avisé aurait traité de réaction en chaîne. L'entassement savant des rondins se disloqua à l'imitation d'un jeu de domino qui s'effondre. Les grumes se trouvèrent ainsi livrées à la fantaisie de la gravitation universelle.

Hélas, les quais sont en pente et s'inclinent ça va de soi pour rejoindre la rivière toute proche. Comme bien souvent les grumes arrivent en flottant librement, un esprit avisé aurait pu affirmer qu’il y avait là une sorte de retour à l'envoyeur si le courant ne rendait pas impossible la chose. Qui plus est, entre les quais et l'eau, les bateaux tendaient leurs ponts pour recevoir l'avalanche « xylotique ».

 

Le spectacle qui s'en suivit fut digne d'un Trafalgar immobile. C'était à croire que craignant l'arrivée d'une horde sauvage, les marchands avaient sabordé la flotte. Un vrai désastre qui proposa un spectacle digne d'un tremblement de terre : des milliers de tonneaux percés, lassaient couler vin, huile, alcool dans la Loire, là où précisément l'intrépide responsable du désastre tentait de rester à flot.

Les balles de coton se crevèrent et démontrèrent que la métaphore de la plume qu'avait employé un portefaix était plus que judicieuse. Un brouillard soudain priva les curieux d'une partie du spectacle alors que ceux qui s'affairaient au bord de l'eau n'en croyaient pas leurs yeux. Personne ne songeant venir à l'aide de celui qui pataugeait misérablement dans un mélange des plus poisseux.

Saisissant un des multiples fruits de ses sottises, le chenapan s'éloigna de la scène, se laissant porter par le courant. C'est bien plus en aval qu’il parvint enfin à se rapprocher de la berge et réussit à regagner la terre ferme. Il était sous le choc, ayant subi une frayeur de nature à vous faire perdre vos moyens.

L'enfant avait curieuse allure. Le corps recouvert d'un mélange odorant et collant, il sentait la vinasse et était couvert un curieux duvet. On eut dit un oisillon maladroit ayant manqué son envol. Il titubait à la fois sous l'effet des vapeurs d'alcool et de la frayeur qui avait été la sienne.

Allant de hue et de dia, manquant à chaque pas sur les pavés de perdre son équilibre, il avait l'allure d'un homme sortant nuitamment d'un estaminet. Un passant le voyant ainsi en grande difficulté vint à sa rencontre, étonné tant par son apparence que par son allure. Le bon samaritain ne peut s'empêcher de l'interroger : « Mon gamin qu'est ce qui t'arrive ? Tu ne tiens plus sur tes jambes qui ont d'ailleurs une fort curieuse allure ! »

Et là, faisant preuve d'un esprit de réparti qui a longtemps fait la réputation des guêpins du pays, le jeune garçon, ne désirant pas s'éterniser dans le secteur et rendre compte de ce qu'il avait provoqué répondit du tac au tac : « Ce n'est rien, j'ai les jambes en coton ! » Puis, il prit les jambes à son cou et s'ensauva bien vite.

L'histoire ne retint pas le nom du diablotin qui inventa cette belle formule qui fit le tour de bien des conversations. L'alcool n'est d'ailleurs pas toujours responsable de ce curieux état. Bien sûr, je devine aisément que nombre d'entre vous ne croiront pas à cette histoire, c'est bien regrettable et vous auriez pu vous apercevoir de quel bois je me chauffe s'il n'avait pas filer au fil des flots.

À contre-courant.

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