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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Légende des temps immémoriaux.

Les deux frères.

 

 

Il fut un temps où des humains s'installèrent sur les rives des rivières pour y établir des villages. Ils avaient remarqué qu'il était plus simple de transporter des marchandises sur l'eau, que la vie y était plus douce qu'au cœur de la forêt tandis que le poisson abondant améliorait l'ordinaire. Ainsi naquirent celles qui bien plus tard allaient devenir nos grandes villes.

Cette légende circule ici ou là ; elle ne nomme pas la rivière, afin sans doute de ne froisser aucune susceptibilité ; chacun dans ce pays atteste que la sienne est la plus belle, la plus mystérieuse et la plus porteuse d'histoires. Étant moi-même enclin à ce redoutable travers, je vais faire en sorte de ne pas apporter de réponse à cette controverse.

Il advint, en cet avant au-delà d'auparavant, au bord de l'eau, qu'une tribu vivait heureuse et respectait celui que les humains avaient choisi pour chef. L'homme était entouré de mystère, il était d'une corpulence bien supérieure à celle de ses semblables et avait, dit-on, une ascendance magique. Il se nommait Nissyen, était craint tout autant qu'admiré par les siens, ses sujets obéissants et respectueux.

On disait de lui qu'il avait été sculpté dans l'argile par une déesse, une fée ou bien une sorcière. Les rôles n'étaient pas encore clairement définis et la répartition des forces entre le bien et le mal n'était pas aussi tranchée qu'aujourd'hui. Celle qui lui avait ainsi donné naissance était Damona, la déesse des sources. Les Celtes aimaient à la représenter sous le totem de la vache, car le lait est la source de la vie.

Pour les sujets de Nissyen, tout allait pour le mieux jusqu'au jour où une terrible menace vint troubler leur tranquillité. Dans les bois, un colosse à la force gigantesque semait la désolation. Il était d'une goinfrerie telle qu'il relevait les filets des pêcheurs pour prendre leurs poissons, qu'il prélevait le gibier dans les pièges des chasseurs et que plus rien n'était possible pour ces pauvres gens.

Ceux qui l'avaient aperçu en avait fait une telle description que l'effroi gagnait toute la région. Les gens se terraient dans leurs cabanes et plus personne n'osait aller quérir de la nourriture. Bientôt les réserves s'épuisèrent et la nécessité d'affronter le monstre s'imposa à tous. La quiétude de Nissyen venait soudainement de prendre fin car c'est naturellement vers le chef que se tournèrent tous les membres de la communauté.

C'était une époque où celui qui détenait le pouvoir devait assumer quelques obligations, payer de leur personne et même prendre des risques pour venir en aide à ses sujets. Il ne pouvait déléguer ou confier à d'autres ce qui était de sa charge. Nissyen n'était pas homme à se dérober, il s'arma de courage et de ce qu'il avait de mieux comme armes et partit affronter ce monstre qui hantait la région.

Bientôt, les routes des deux colosses se croisèrent. Ils se firent face. Ils étaient en tous points semblables. Même taille, même corpulence, même couleur de cheveux, même forme de visage. Nissyen en fut interloqué bien plus que celui qui se trouvait face à lui et semblait ne pas avoir la même conscience de cette étrange ressemblance. Le combat n'eut pas lieu. Il y avait comme un respect mutuel qui fit que les deux opposants firent demi-tour et s'en allèrent chacun de leur côté.

De retour au village, Nissyen dut avouer son trouble et sa réaction. C'est alors qu'une vieille femme, celle qui guérissait les gens par sa science des herbes et des remèdes qu'accordait alors généreusement la nature prit la parole de manière étrange. Elle déclara « C'est donc qu'il est revenu ! » Puis elle s'enferma dans le silence, marmonnant par devers-elle des mots incertains et incompréhensibles.

Nissyen et ses sujets voulurent en savoir davantage. Il n'y avait que le druide pour décrypter le message de la guérisseuse. On alla le quérir alors qu'il était en chemin vers la grande forêt des chênes sacrés. Il maugréa contre ces messagers qui venaient l'importuner en cette période rituelle, ô combien importante. Mais devant la frayeur et l'angoisse de tous, il consentit à rebrousser chemin pour apporter ses immenses lumières.

Nissyen lui raconta alors ce qui s'était passé et l'étrange rencontre qu'il avait faite : un autre lui même, plus sauvage et sans doute tout à fait incapable de communiquer. Alors le druide raconta le secret de la naissance de Nissyen, la faute de Damona qui n'avait pas sculpté un mais deux enfants dans l'argile de la rivière.

Pour éviter le conflit qui ne pouvait que naître de cette gémellité, l'un des enfants avait été abandonné à la nature, perdu loin d'ici au milieu d'une forêt profonde et épaisse. Il avait dû être recueilli par les bêtes sauvages, une louve ou bien une renarde, une truie ou bien une biche qui lui donna son lait. Il avait grandi loin des humains et c'est pourquoi il ne parlait pas …

Le druide déclara alors à Nissyen, totalement médusé par cette révélation, que l'enfant avait été nommé Evnissyen avant d'être envoyé à ce qu'on pensait alors être une mort certaine. Pour le chef, il n'était plus question de combattre celui qui était son frère jumeau mais il lui était tout autant impossible de le laisser effrayer les gens de sa tribu. Que faire ?

Ni le druide ni les plus sages des hommes de l'endroit ne savaient que répondre. Quant à Nissyen, il était même incapable de penser de manière efficace tant il était bouleversé par ce qu'il venait d'apprendre. C'est alors qu'une femme d'une beauté incroyable se présenta au milieu du cercle à palabres. On l'appelait Bellissima pour honorer sa beauté et sa grâce.

Bellissima déclara que ni les armes ni la force ne pouvaient toucher le cœur d'un homme, fût-il un être rustre et sans éducation. Seul l'amour pouvait lui ouvrir les yeux et le conduire sur le chemin de cette humanité qu'il n'avait jamais connue. Devant tous les membres de la communauté, subjugués et ravis à la fois, Bellissima se dénuda entièrement et laissa voir à tous un corps parfait d'une élégance infinie.

Sans plus un mot, elle quitta le village et partit à la recherche de ce monstre sauvage. Durant sept jours et sept nuits, personne n'eut plus aucune nouvelle d'elle. Seuls des râles sourds, des plaintes troublantes, des soupirs et des halètements d'une incroyable puissance indiquèrent à tous que ce qui se passait sous le couvert de la forêt voisine devait sans doute être un spectacle extraordinaire.

Nul ne songea à aller y regarder d'un peu plus près. La crainte du monstre les en dissuada ; moins cependant que la nécessité de profiter de son occupation du moment pour retourner à la chasse et à la pêche. C'est ainsi que les réserves se reconstituèrent et que les gens de Nissyen échappèrent à la disette.

Puis, au huitième jour, Bellissima revint dans la même tenue. Elle était radieuse comme jamais on ne l'avait vue. Elle marchait avec cette assurance qui caractérise les reines et les déesses. Elle alla directement rejoindre Nissyen et lui déclara que son frère jumeau était le plus charmant et le plus merveilleux des compagnons. Elle voulait l'épouser et vivre avec lui dans la forêt. La seule condition que Evnissyen avait émise était d'avoir la bénédiction de son frère.

Il en fut fait selon les vœux du monstre qui, en l'espace de sept jours et sept nuits, avait découvert l'amour et apprit la langue des humains. Il avait grandi dans la sagesse des animaux et ne voulait pour rien au monde vivre sous un toit et selon les rites de ces curieux personnages qu'il croisait parfois. Seule Bellissima avait trouvé le chemin de son cœur et c'est elle qui irait vivre avec lui, loin des humains. C'est ainsi qu'eut lieu le rite de leur union afin que s'établisse un pacte heureux entre le village et la nature sauvage. La légende perdura longtemps jusqu'au moment où ceux des villes, devenues trop grandes cessèrent de respecter la nature environnante. Il leur fallait asseoir leur puissance et imposer leur volonté à tout ce qui les entourait. Le pacte entre Nissyen et son jumeau avait été rompu.

Faudra-t-il qu'une autre Bellissima se lève et fasse comprendre à ces êtres cupides et vénaux que rien ne peut se concevoir sans un équilibre harmonieux entre les humains et leur environnement naturel ? Quant à espérer que l'amour renaisse dans le cœur des hommes, c'est une autre histoire. Il faudrait sans doute bien plus de sept jours et sept nuits à cette nouvelle déesse pour que tombent à jamais la peur, la haine et les armes.

Naturellement leur

 

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