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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

La foire aux fromages.

 

Richard Cœur de Lion

 

Il s'appelait Richard mais pour tous, il était Richard Cœur de Lion, un sobriquet quelque peu ironique quand on connaît son combat et le peu de confiance que l'on peut avoir en cette marque industrielle. Mais qu'importe, l'homme était coulant, il n'allait pas battre comme plâtre ses tourmenteurs.

 

Il fit son entrée dans le monde médiatique en organisant en son pays, une belle petite foire aux fromages, lui que certains persifleurs traitaient de faux mage. Richard se pensait le chantre de la ruralité, terme qu'il adorait tout autant qu'une belle crémière, une certaine Pierrette qui lui avait fait tourner la tête. C'est pour ses beaux yeux du reste qu'il se prit de passion pour la chose laitière. Il se fit le défenseur de la filière, s'agita tellement qu'il transforma son petit pot de lait en grosse motte de beurre, un miracle qui fut immédiatement reconnu par l'Église.

 

Il battit la campagne pour trouver la perle rare, le fromage qui a du goût et du caractère. Pâte molle ou bien pâte cuite, persillée ou bien chargée de noix, l'essentiel pour lui fut que les bons pasteurs se soient dispensés de pervertir le lait pour faire bouillir la marmite. C'est du moins ainsi qu'il s'exprimait, une manière un peu cavalière qui caillait sur le jabot de ceux qu'il prenait en grippe.

 

Il fit le tour des plateaux télé pour annoncer sa grande foire aux fromages. Quelques journalistes lui demandèrent d'affiner son propos, d'autres d'écrire une saga fromagère en plusieurs tomes. Il fut de toutes les listes de commission, le fromage avait retrouvé le panier de la ménagère en dépit de la terrible réputation que lui avaient collée les diététiciens. Sa foire allait être un véritable succès au point du reste que sa petite commune fut rebaptisée : Fay-les-Éloges !

 

Le grand jour pouvait arriver. Les étals étaient dressés, le village fleurait bon, l'ambiance était à la liesse en dépit d'un temps glacial. On se caillait en bord de canal, mais qu'importe, quand le fromage vous botte, vous n'allez pas reculer devant pareil petit désagrément. Bonne crème, Richard avait prévu de distribuer du vin chaud à tous les exposants.

 

Sur le chemin de halage, il avait même reconstitué un Hâloir : « Local destiné à affiner plus particulièrement des fromages à pâte molle dont l’humidité excessive de la croûte est réduite par ventilation ». Une baratte trônait sur un rond-point, un barbareau sur un carré frais, une bancelle sur le triangle d'eau et un bidon à lait géant devant la mairie. Le décor était planté, après une inspection rapide, il se déclara satisfait : « Rien ne cloche, la foire aux fromages peut être ouverte ! »

C'était le signal qu'attendaient une nuée de corbeaux qui fondirent sur les étals. Devant la foule incrédule, les volatiles ne firent aucun quartier, ils s'emparèrent de toutes les sortes de fromages qui étaient représentés ici, à l'exception notable d'un Cœur de Lion, dont le rugissement avait dû effrayer les preux chevaliers ailés.

 

Richard au désespoir courait en tous sens, tentant de sauver ce qui pouvait l'être. Il devenait chèvre devant ce drame qui ruinait ses espoirs. Il se doutait que la grande distribution était derrière ce mauvais coup. Il s'était maintes fois pris de bec avec ses représentants, adeptes de l'insipide et de l’hygiénisme. Lui envoyer des charognards était vraiment digne de leurs méthodes.

 

Il n'eut pas longtemps à se désespérer. D'un même mouvement tous les corbeaux se posèrent sur la cime des peupliers qui bordaient le canal, tenant chacun en son bec ce qu'ils avaient dérobé sur l'étal. Richard qui avait quelques lettres, se dit qu'il devait profiter de l'aubaine pour agir de manière théâtrale et gagner ainsi l'opinion publique à sa cause.

 

Il attendit tranquillement que la presse, les caméras et les photographes se mettent en faction non loin de là. Il fit installer une sono mobile, prit un microphone et se lança dans une tirade dont il a le secret sur la défense des appellations contrôlées. Les corbeaux très attentifs ne perdirent aucune goutte de ce formidable exposé. C'est quand il évoqua une étiquette accolée au verso du produit qui attestait que les fromages répondaient au cahier des charges que les oiseaux voulurent contrôler l'authenticité de leurs larcins.

 

Ils ouvrirent grand le bec, un peu comme Richard l'avait fait depuis quelques minutes et firent tomber sur la berge ce qu'ils avaient sournoisement dérobé. Richard buvait du petit lait, il venait de triompher, en direct sur toutes les chaînes info. Chacun récupéra son bien, la foire connut un formidable succès populaire.

 

Le lendemain, l'affaire était montée jusqu'au Palais et sans tarder Richard fut nommé dans la foulée sous-secrétaire d'état aux affaires fromagères. Une juste récompense, certes mais qui ne pouvait satisfaire son immense appétit. Notre homme ne voulant pas en rester là, avait déjà dans l'idée d'organiser une foire aux cochons et à la charcuterie sans nitrite. « Voilà un homme qui veut le lard et la crémière », écrivit alors son persifleur patenté !

 

Alimentairement sien.

 

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