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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Le ménétrier du diable

Le violon infernal.

 

 

En ce temps-là, le règne de Bonaparte vivait ses derniers instants et les français n’en avaient pas encore conscience. Dans une chaumière isolée, au cœur de la forêt, à l’écart des bruits de guerre, vivait seul un humble bûcheron. Les rares personnes qui eurent le loisir de le connaître le décrivaient d’abord comme si taciturne qu’il repoussait ceux qui venaient à lui. Ce grand échalas rêveur était d’une maigreur inquiétante, ce qui ajoutait au mystère qui l’entourait.

Vieux gars de plus de soixante quinze printemps, il était connu de tous comme le ménétrier du diable. Il est vrai que notre homme quittait quelquefois son bois de la forêt de Goumat pour aller faire le monde danser dans le château de Montpipeau du côté de Huisseau-sur-Mauves.

Un soir, le bal dura, s’éternisa plus qu’à l’accoutumée. C’était une époque où les gens travaillaient aux premières heures du jour et ne s’attardaient que rarement au cœur de la nuit. Minuit était sonné depuis bien longtemps quand le ménétrier, ragaillardi par ce qu’il avait bu abondamment s’en retourna chez lui, son violon dans son étui. Il devait traverser des bois sombres, coupant par des sentiers étroits et sinueux.

Le bûcheron savait pourtant que la nuit, la forêt est le siège de bien des bruits mystérieux. Les animaux y sont alors tranquilles et vaquent sans la crainte de croiser les humains. Cependant cette fois, ce n’était ni le cerf dans son brame, ni les cris de la chouette, ni le mouvement du vent dans les branches. Il se tramait quelque-chose…

Son violon semblait même répondre aux murmures inquiétants de la nuit. Quoique dans l’étui, ses cordes vibraient. Le ménétrier pensa naturellement à la présence d’un esprit, crut que la forêt était hantée, il jugea préférable de hâter le pas. Plus il filait, plus les bruits s’imposaient à lui. Il perçut même des voix qui se mêlaient à ce vacarme à vous glacer les sangs.

C’est en arrivant dans une trouée, une croisée de plusieurs sentiers dont le nom, il faut l’avouer n’avait rien d’engageant dans les circonstances présentes, la Clairière des Sorciers qu’il découvrit un spectacle qui restera à jamais gravé dans sa mémoire et qu’il n’aura de cesse de raconter le reste de son existence au point de passer pour un dément.

Une clarté rouge, comme celle qui enveloppe la nuit le four banal éclairait le grand sabbat qui se déroulait là. Tous les personnages légendaires de la forêt s’étaient donné rendez-vous pour cette grande cérémonie : diablotins, fées, sorcières, lutins, farfadets et elfes. De grands brasiers brûlant dans des marmites de fonte formaient un cercle maléfique pour délimiter la clairière.

 

Du faîte des arbres, des voiles, des draperies, des lustres et des lampions étaient tendus au-dessus de cet îlot de lumière. Satan en personne avait dû diriger la décoration de l’endroit. Le ménétrier était pétrifié, incapable de faire un pas de plus. Il se trouvait à la lisière de ce bal satanique quand celui qui devait être le maître de cérémonie s’approcha de lui.

C’était un être immonde, à la face blême, aux yeux injectés de sang, habillé comme un enfant. Ses gambettes n’avaient pourtant rien de réjouissant, velues et couvertes de pustules, elles se prolongeaient par des pieds fourchus aux ongles d’une longueur sidérante. En dépit de son aspect rebutant, la créature s’adressa avec une extrême politesse au bûcheron : « Nous vous attendions avec impatience mon ami. Auriez-vous, cher musicien, l’obligeance de jouer pour nous afin que chacun puisse profiter de votre virtuosité légendaire ? »

L’homme n’en croyait pas ses oreilles. Non seulement, ce monstre parlait de manière distinguée mais qui plus est, lui attribuait un talent qui était loin d’être le sien. S’il jouait du violon, c’était comme un amateur qui n’avait jamais appris la technique. Il se contentait d’animer les soirées du château sans avoir la prétention d’être un virtuose. Il s’exécuta cependant, ne voyant pas comment se dérober à pareille invite.

Il s’installa au centre du carrefour, sortit son violon de son fourreau, prit son archet et se mit en demeure de faire ce que cette terrifiante assemblée attendait de lui. Le vieil homme n’en revenait pas, sa main gauche volait littéralement sur le manche, retrouvant une agilité dont il n’avait plus le souvenir. L’archet semblait être mu par une force qui lui était étrangère. De son violon il émanait une musique que le ménétrier aurait qualifiée de céleste en d’autres circonstances.

Les participants entrèrent alors en transe, poussés par une mélodie endiablée. La folle farandole dura jusqu’aux premières lueurs du jour. Le musicien ne ressentait aucune fatigue, ne cherchant pas à comprendre d’où surgissaient ses mélodies extraordinaires. Il jouait, envoûté et poussé par une inspiration qui le dépassait totalement.

De temps à autre, il ouvrait les yeux pour regarder bien malgré lui les danseurs. Il lui sembla parfois reconnaître des voisins, des habitants de Gidy et de la région, des parents perdus de vue depuis si longtemps, des défunts qu’il avait conduits jusqu’au champ de naviots. S’ils étaient tous grimés, il ne faisait pourtant aucun doute que sous un aspect démoniaque se dissimulaient des connaissances. La sarabande infernale s’acheva au premier chant d’un coq dans le lointain.

Celui qui l’avait mandé, revint vers lui et le remercia chaleureusement de sa participation. Puis, à la grande surprise du ménétrier, il lui donna rendez-vous à la prochaine nouvelle lune. Le bûcheron promit de revenir et s’en retourna dans sa masure. Ce jour-là, il s’accorda une matinée sans labeur, dormant d’un sommeil profond jusqu’à ce que le soleil soit à son zénith.

Durant une année, l’homme tint sa promesse et se rendit dans la clairière maléfique à chaque nouvelle lunaison. Il trouva même dans ce qui lui arrivait une grande satisfaction. La virtuosité n’était pas réservée qu’aux seuls danseurs de la clairière. Il avait acquis une technique et un répertoire qui fit un temps sa bonne fortune.

 

Malgré tout, il était envahi de cauchemars épouvantables qui ne le laissaient jamais en paix. Pesant le pour et le contre, il finit par se rendre auprès du vieux curé de Chaingy dont la réputation d’exorciste circulait dans tous les pays orléanais. L’homme de dieu ne fut pas surpris de la confession du bûcheron, comme bien souvent par ici, la rumeur avait précédé sa visite.

Le prélat tenta en premier lieu de rasséréner cette brebis égarée, l’invita à la confession et à quelques prières dans l’église. Puis, il le pria de suivre à la lettre le conseil qu’il allait lui donner, si le pêcheur voulait retrouver la paix de l’âme et le chemin du Dieu tout puissant : « Mon fils, pour que ta conscience cesse de tourmenter de la sorte, tu honoreras comme les fois précédentes ton prochain rendez-vous avec les suppôts de Satan. Mais au plus fort de la farandole, tu cesseras de jouer ces airs insufflés par le diable pour à la place entamer l'air du Pange Lingua. Va maintenant ; je prierai pour toi. »

Ainsi réconforté par la bénédiction du vénérable prêtre, le ménétrier attendit sereinement cette fois, la prochaine nuit endiablée. Comme les fois précédentes, il rejoignit la clairière où l’attendait la terrible troupe. Puis comme il avait prit l’habitude, il laissa aller ses doigts sur l’instrument.

Emportés par la musique, les diablotins et leurs invités se mirent en transe. Au bout d’un long moment, le musicien changea soudain de registre. Il passa imperceptiblement du registre profane à la mélodie sacrée que lui avait conseillée l’homme de Dieu. Au milieu de la clairière ce fut alors un désordre sans nom, une débandade indescriptible, des cris d’effrois et des mouvement erratiques.

Des démons, totalement désorientés se précipitèrent à la périphérie de la clairière cherchant dans la fuite d’échapper aux notes sacrées. Dans leur fuite, ils renversèrent les chaudrons et le feu gagna la couverture lumineuse qui se trouvait sur leurs têtes. Ce fut une répétition de l’apocalypse, pas un démon n’échappa au brasier infernal.

Seul le ménétrier fut miraculeusement épargné, protégé qu’il était par la mélodie céleste qu’il n’avait pas cessée de jouer. Tout en continuant de jouer, l’homme se mit en marche et rentra paisiblement chez lui. De cette nuit si particulière, il perdit l'habileté qui fut la sienne, une année durant, il se contenta de retrouver son répertoire d’avant.

Quant à la Clairière des Sorciers, elle demeura à jamais stérile. Là où le feu était passé, nulle végétation ne repoussa. Longtemps après la mort du ménétrier qui fut appelé le violoneux du diable, ses collègues bûcherons et tout ceux qui allaient faire du bois dans la forêt, faisaient un grand détour pour éviter ce carrefour maléfique. Seuls les conteurs désormais perpétuent la mémoire de cette histoire pour peu qu’ils parviennent à accorder leurs violons.

 

Violonnement sien.

 

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