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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

L’arbre et l’enfant.

Au commencement des récits.

 

 

Il était une fois un arbre majestueux qui imposait sa masse au milieu d’une plaine. Il était puissant et massif quoiqu’il fut totalement décharné. De mémoire d’humain, nulle feuille n’y avait jamais poussé. On l’aurait cru mort même s’ il demeurait vigoureux, inaltérable et indestructible malgré les années. 

 

L’arbre inquiétait, non seulement il résistait en dépit de son apparence sans vie mais pire que tout, les animaux le fuyaient. Jamais un oiseau ne s’y posait pas plus qu’un rongeur ou bien un insecte. Il repoussait les êtres vivants, tous l’évitaient, le croyant porteur d’une étrange malédiction. Même les enfants se refusaient à grimper à ses branches qui pourtant auraient constitué un extraordinaire terrain d’aventure.

Pour donner crédit à toutes les craintes, l’arbre ne projetait aucune ombre sur le sol. L’incompréhension finit toujours par engendrer la terreur. Il devait être envoûté, habité par quelque être maléfique. Des légendes circulaient à son propos, pourvu qu’elles fussent racontées loin de lui tant il était redouté.

 

L’arbre s’en moquait. Il résistait au temps, aux lois de la botanique plus encore à la médisance. Il attendait quelqu’un ! Il avait la patience de ceux qui ne redoutent rien pas même les bûcherons ni la foudre. Il se savait protégé par un pouvoir surnaturel.

 

Un jour, un enfant vint à lui. C’était un gamin malingre, ni garçon ni fille, un être incertain porteur de toutes les malformations que la nature s’amuse parfois à distribuer. Il était albinos, boitait de son pied bot, avait une bosse et une moitié du crâne sans cheveux. Il avait les traits caractéristiques d’une aberration génétique, un sourire perpétuel qui appartient seul aux âmes simples. Il était porteur des traces de coups que les gens ordinaires ne manquaient jamais de lui offrir pour prix de sa différence.

L’enfant de la misère était maigre, pâle, fatigué par une existence qui ne l’avait jamais laissé en paix. Orphelin, rejeté des autres, il allait son chemin, à la recherche de celui qui le comprendrait, lui tendrait enfin une main secourable. Quand il vit au loin l’arbre dénudé, il eut une révélation. Il comprit que c’était là que s’achevait son voyage dans cette vallée de larmes.

 

En dépit de sa faiblesse, malgré la grande distance qui le séparait de lui, sous un soleil de plomb, le petit être fragile avança, obstinément vers celui qui l’attirait comme un aimant. L’enfant parvint à son but, s’assit sous l’arbre. Il sentit ses forces revenir !

Au contact de ce garçon, l’arbre frémit. Le végétal et le gnome entrèrent en communication. Durant sept nuits et sept jours, il ne se passa rien que ces ondes vibratoires qui se transmettaient de l’un à l’autre. L’enfant sans manger ni boire était nourri mystérieusement par l’arbre.

Le huitième soir, la Lune se fit pleine dans un ciel étoilé. L’enfant qui jusque-là était resté silencieux se mit à parler, à psalmodier plus exactement. Celui dont personne jusqu’à présent n’avait entendu le son de la voix se mit à raconter des histoires qui venaient d’ailleurs. Belles et envoûtantes. Il avait un calame dans la main qu’il agitait dans l’air accompagnant son récit de mouvements erratiques.

 

La première histoire achevée, dans l’arbre jusqu’alors décharné, poussa une feuille sur laquelle étaient inscrits des signes mystérieux. Cette nuit-là, la première nuit de l’histoire des contes, l’arbre se para de douze feuilles, douze parchemins plus exactement couverts d’une écriture faite de triangles et de traits. C’était étrangement des feuilles de papyrus.

Cela dura longtemps, très longtemps. Sans interruption, jours et nuits jusqu’à ce que toutes les branches de l’arbre fussent couvertes de contes et de légendes. L’enfant se tut. C’est alors que le ciel se couvrit de nuages et se chargea d’électricité. De la nuée une formidable tornade s’approcha. Elle se dirigea vers l’arbre et l’enfant.

 

Emportées par le souffle formidable du vent toutes les feuilles furent arrachées. Elles s’envolèrent au loin, se répandirent entre le Tigre et l’Euphrate. La civilisation allait naître de ces petits papyrus porteurs de la grande épopée de l’humanité.

 

Puis l’œil du cyclone enveloppa les deux héros de cette aventure. Quand le calme revint dans la plaine, il ne restait plus rien de l’enfant et de l’arbre. Ils étaient partis pour un autre monde. Ils n’ont pas disparu tout à fait puisqu’ils vécurent par le truchement de ceux qui héritèrent des récits dispersés par le vent. Ils les racontèrent à d’autres qui les transmirent à leur tour. Et c’est ainsi que de bouche à oreille elles parvinrent jusqu’à nous.

 

La parole avait pris son envol, l’écriture lui ayant donné la main pour immortaliser tous les récits. Chaque fois qu’un humain s’empare d’une histoire de l’enfant, il lui donne une couleur et un ton différent. Chaque fois qu’un scripte déchiffre un parchemin, lui aussi l’interprète à sa manière, lui compose une nouvelle mélodie. Les contes sont nés en cette lointaine époque. Depuis ils vivent et se modifient, à jamais portés par le vent et les souffleurs de rêve.

Épiquement vôtre.

 

 

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