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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Les contes du silence.

À Sébastien

Interrogations et satisfactions.

 

Ils sont en fauteuils, murés dans un silence peuplé d’étranges fantômes. La parole pour beaucoup se résume à quelques grognements, des mots épars, le plus souvent incompréhensibles pour ceux qui ne sont pas leurs proches. Ils sont, quoique adultes, privés des joies tout autant que des contraintes de cet état. Ils vivent dans une Maison d’Accueil Social, demeure qui sera sans doute la dernière étape pour eux sur cette vallée de larmes.

 

C’est pourtant vers eux que je viens à fréquence régulière, partager un moment de parole, ce qui paradoxalement leur fait défaut. Vaste défi pour un Bonimenteur que de toucher par le cœur ces êtres fracassés par l’existence ! Il s’agit pour moi de réveiller quelques lueurs, de provoquer des réactions, de les toucher par des histoires.

 

Le plus souvent, le miracle a lieu. Ils se pressent à mon rendez-vous. Durant une heure, ils ne bougent pas, non pas qu’ils se figent dans une inertie confortable, mais bien au contraire, ils se font demandeurs, réagissant à leur manière, en une multitude de petits signes que j’ai fini par décrypter. D’autres fois, pour des raisons qui m’échappent, ils ne sont pas en capacité de se concentrer, envahis qu’ils sont par des réalités qui s’imposent à eux.

 

Le départ d’un des leurs, un décès qui provoque un immense vide et une grande blessure et voilà que mes récits tombent à plat. Il y a encore l’absence de l'animateur qui ne permet pas de maintenir ce climat de bienveillance qu’il est seul capable de mettre en place. Toujours est-il que la fois précédente fut une racontée sans écho, j’en étais dépité, me demandant s’il était pertinent de continuer ainsi.

 

C’est fort de cette inquiétude que j’arrivais ce jour-là, bien décidé à mettre un terme à cette expérience si la séance prenait des allures de fiasco. Je m’en confiais à l’instigateur de ce rendez-vous qui tout au contraire me disait sa volonté de poursuivre, tant il percevait l’intérêt de mes prestations. Je le laissais dire, persuadé que la réalité s’imposerait à nous.

 

Ce jour-là, ils étaient 19 à s’être regroupés dans la salle. Ils formaient un grand arc de cercle, attentifs et forcément silencieux. Je commençais par une première histoire. Ce jour-là, tous semblaient être en capacité de m’écouter. J’enchaînais par un nouveau conte en faisant de l’un d’eux le héros de l’aventure. L’attention se fit plus palpable tandis que des murmures au terme du récit se firent entendre.

 

Je ne comprenais pas le sens de cette manifestation. L’animateur m’en donna le code. Il me fallait continuer en prenant cette fois le prénom de celui qui venait de se manifester. Ainsi, de contes en contes, tous devinrent à un moment donné, héros ou personnage d’aventures mystérieuses. J’avais oublié à quel point, ce sentiment de vivre par délégation était fondamental pour eux.

 

Je leur ouvrais les portes de la vraie vie, leur permettant d’aimer, de rêver, de terrasser un monstre, de se lancer dans des exploits héroïques. Tous les sentiments et les émotions qui se dérobent à eux, coincés qu’ils sont dans un corps qui, s’il leur ferme les portes du possible n’en demeure pas moins avide d’imaginaire. La séance n’en finassait pas tandis que j’étais contraint au temps additionnel pour n’oublier personne.

 

De nouveau, ces êtres abîmés dans le silence et le handicap m’avaient donné une grande leçon de vie et de vitalité. J’avais eu tort de douter de leur volonté de poursuivre. Je m’étais simplement fourvoyé en ne leur donnant pas ce petit supplément qui change tout. Ils attendent de mes Bonimenteries l’occasion de sortir de leur état, le temps d’une aventure imaginaire, se glisser dans un corps en mouvement qui parle, agit, chante, aime sans entrave.

 

Je sortis de cette séance épuisé certes, mais si heureux que je ne doutais plus de l’importance de ce moment pour eux. D’autres rendez-vous seront sans doute moins brillants, qu’importe, ils prendront toujours ces poussières d’étoiles que j’ai l’immense privilège de pouvoir leur offrir. J’aimerais d’ailleurs que d’autres établissements analogues me permettent d’étendre cette expérience. Mes mots font un merveilleux écho à bien des silences …

Reconnaissancement leur.

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