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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Une affaire classée …

De Sully à Chalonnes
Une affaire classée …

Une affaire classée …

 

 

Charles Ier d'Albret depuis son récent mariage en 1400 avec Marie de Sully, veuve de Guy de la Trémoille dit le Vaillant était le seigneur de cette belle demeure fortifiée installée à la lisère de la Loire en sa rive sud. Ce grand Baron du royaume était réputé pour sa dureté et sa sévérité tout autant que pour son épouse, belle au port de Reine. Il n’était personne de par le duché qui n’eut le cœur qui battait à son évocation. Hélas, la dame était gardée jalousement par son Seigneur et maître.

La pauvrette était cloîtrée dans le donjon. C’est tout juste si son époux lui permettait une sortie quotidienne dans le magnifique parc de sa demeure pourvu que ce soit en sa compagnie. Sa jalousie maladive fut, il faut bien l’admettre sans fondement tant la douce femme était vertueuse et dévouée à son tourmenteur et attentive à leurs enfants.

Pourtant tout bascula quand un trouvère, un de ces poètes itinérants qui allaient de château en château jongler avec des massues et des mots, vint s’inviter dans leur demeure. Durant quelques jours, l’homme contre le couvert et le gîte, égaya l’assemblée de ses facéties tout autant que de ses belles romances. L'austérité avait abandonné le donjon, Marie chantonnait, Marie était souriante.

Charles s’en montra bien vite chafouin. Il devait y avoir anguille sous roche, il ne pouvait pas en être autrement. Que son épouse affiche ainsi un tel entrain, une telle joie de vivre depuis l’arrivée de ce maudit saltimbanque supposait dans son esprit rétréci qu’il y avait quelque idylle entre eux. Pour son malheur, il avait convié des amis à un banquet, profitant de la distraction du moment, il devrait encore ronger son frein quelques jours avant que de chasser le déplaisant !

Durant cette attente, il n’eut de cesse d’être toujours en présence de l’artiste quand il distrayait Marie et ses enfants. Ses éclats de rire étaient alors pour lui une meurtrissure, le signe évident que la dame éprouvait une passion pour ce coquin. Il fulminait, préparait sa vengeance sans se soucier le moins du monde qu’elle ne se fondât que sur de vaines suppositions…

Le grand dîner eut lieu. Les hôtes eux aussi avaient été enchantés des prouesses du jongleur, des balades du poète et des récits épiques du raconteur. Jamais plus belle et distrayante veillée ne s’était déroulée dans cette austère demeure qui fleurait bon le parpaillot et la rigueur toute luthérienne. Marie dénotait d’ailleurs, le rouge aux joues, les yeux brillants, elle ne semblait plus maîtresse d’elle-même à moins qu’elle n’eût accordé ce privilège à ce bonimenteur de passage.

Charles ne pouvait que remarquer la transformation de son épouse. Il en ressentit un très vif désagrément, persuadé que sa femme avait succombé aux belles paroles du poète. Que ses convives puissent eux aussi se poser des questions relevait pour lui de la blessure d’amour propre et plus encore de l’humiliation. Il lui faudrait frapper fort pour montrer qu’il demeurait maître en sa demeure.

Le lendemain, alors que le Trouvère ayant senti le vent mauvais qui régnait dans le château entre les deux époux, avait pris à mâtines la poudre d'escampette, Charles au réveil fut pris d’une soudaine et terrible folie. Il entra tel un furieux dans la chambre de la pauvre Marie, éructa des grossièretés inhabituelles pour un homme de sa qualité. Il fouilla de fond en comble la pièce et trouva, un poème ou bien une chanson que le jongleur avait confié à la belle… C’en était trop !

Persuadé d’avoir été l’objet d’une trahison, d’être trompé et la risée de toute la région, Charles décida de châtier la pauvrette. Il manda un tonnelier et lui réclama un muid en chêne des plus robustes, cerclé de fers si solides qu’il ne pourrait s'éventrer. L’artisan accepta de réaliser cet ouvrage tandis que la malheureuse fut mise au secret avec interdiction de voir ses enfants.

Il mit un temps qui sembla fort long au Duc et interminable à celle qui croupissait dans une fosse. Le tonnelier avait compris les intentions de son client, il pensait qu’en traînant ainsi, le courroux de celui qui se pensait cocu allait s’estomper. Il n’en fut rien et malgré tous les délais et la lenteur d’un travail qui eut pu se faire bien plus vite, le terrible tonneau fut achevé un mois après sa commande.

Charles envoya quérir Marie. La malheureuse était au désespoir. Elle s’était languie de ses enfants tout en tentant vainement de comprendre les motifs de sa punition. Quand elle retrouva son époux au sommet du donjon, à la vue de cette barrique ouverte et flambant neuve, elle s’interrogea sur une mise en scène qui la laissait perplexe. Qu’elle ne fut pas sa stupéfaction quand son mari lui ordonna de monter dans le tonneau.

Elle pleura, supplia, hurla, s’accrochant de toutes ses forces à celui qui devenait ainsi son bourreau. L’homme avait un cœur de pierre, il se moqua de ce qu’il prenait pour des simagrées. « Madame, vous vous êtes jouée de mon honneur avec votre saltimbanque, le temps est venu de payer votre forfait. La divine providence décidera de votre sort. Quant à moi, je vous répudie et vous chasse à jamais de ce château ! »

Le tonnelier reçut l’ordre de refermer et de sceller le couvercle de la barrique de telle sorte que l’on ne puisse l’ouvrir. Sa femme était prisonnière de ces planches épaisses. Elle tambourinait à l’intérieur de ce qui allait devenir sa prison, jurant sa fidélité et sa bonne foi. Inflexible, le Duc décréta que la prisonnière fut jetée à la Loire dans son étrange équipage.

Le tonneau fut précipité du chemin de ronde dans les flots. Le tonnelier avait travaillé si consciencieusement qu’il ne se disloqua pas au contact de l’eau. Il avait mis tant d’application qu’il demeura à la surface et s’en alla au gré du courant. Ceux qui le virent ainsi naviguer s’interrogeaient sur l’étrange plainte qui montait de cette barrique si bien que c’est peut-être ce qui explique que nul ne songea à la repêcher.

La femme passa là une soixantaine d’heures. Elle pensait à chaque soubresaut que sa dernière heure était arrivée. Elle pleura beaucoup, pria plus encore tandis que sa curieuse embarcation parcourut les 295 kilomètres qui séparent Sully-sur-Loire de Chalonnes. C’est là que par un étrange mystère, alors que jusque là, rien n’avait arrêté la progression du tonneau, il s’échoua sur la rive.

C’était précisément à cet endroit que se reposait un trouvère qui avait beaucoup marché durant un mois, songeant à s’éloigner le plus possible de la colère d’un homme important. Le poète fut intrigué par la plainte qui émanait de ce fût qui venait de la rivière. Il saisit de quoi l’ouvrir et après bien des efforts il eut l’incroyable surprise de découvrir la belle dame qui l’avait si attentivement écouté un plus tôt. Pour l’en remercier, avant son départ, il avait glissé un poème de sa facture dans le repli de sa cape.

Marie sauta au cou de son sauveur, l’embrassa avec une telle effusion que bien vite, la distance et la réserve qui avaient existé jusqu’alors entre eux, cédèrent la place à une passion brûlante. Ils s’embrassèrent longuement avant que la dame ne finisse par raconter ce qu’il lui était advenu. Ils s’aimèrent puisque la destinée leur en donnait implicitement le droit.

Elle leur fut encore d’un autre secours. Peu de temps après, Charles, en tant que connétable et cousin Germain de Charles VI prit part à la bataille d’Azincourt et le 25 octobre 1415, y trouva le repos éternel. Sa mort fut une délivrance pour Marie qui put réintégrer son château. Elle y fit venir discrètement un trouvère qui ne manquait pas de divertir les hôtes. Quant à la châtelaine, il lui glissait de doux poèmes d’amour dans le secret d’une relation scellée par la bonne fortune.

Près de six siècles plus tard quand l’Unesco voulut délimiter le périmètre du classement de la Loire au patrimoine mondial de l’humanité, c’est tout naturellement ce périple de l’amour courtois de Marie dans sa barrique qui servit de référence. Il ne pouvait y avoir choix plus judicieux pour ceux qui aiment passionnément la Loire et la culture.

Courtoisement sien.

Sully sur Loire

Sully sur Loire

Chalonnes

Chalonnes

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L
Mais vous voyez, Nabum... La belle a finalement trompé son jaloux de mari... On peut pas faire confiance aux belles dames !
Répondre
C
L Hatem<br /> <br /> et c'est avec moi