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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Contes pour un vernissage

Art et Com en Rose

Exposition Solidaire au Campo Santo d'Orléans

Contes pour un vernissage

Ouverte le 6 et 7 octobre

 

 

Il était une fois une ville bourgeoise riche et prospère. Elle fondait sa richesse sur le commerce au travers d'une marine de Loire qui transportait presque toutes les marchandises du royaume. En cette ville, était le prévôt des marchands, personnage puissant et opulent. Il gérait la destinée de la Confrérie des Marchands, cette institution qui organisait une grande partie du commerce du Royaume.

Notre prévôt possédait une telle fortune qu'il pouvait prétendre rivaliser avec le roi lui même. Il faisait métier du commerce tout autant que de l'usure, cette position lui donnant un pouvoir considérable sur tous ceux qui étaient ses débiteurs. C'est ainsi que bien vite, il s'arrogea sur la ville des droits dignes d'un seigneur, se permettant d'établir décrets et taxes.

Le Prévôt s'ennuyait cependant. La richesse finit par lasser quand elle offre tout ce qu'on désire et même ce à quoi on ne songeait même pas mais que d'autres, par flagornerie, esprit courtisan ou intérêt, viennent vous proposer. Il avait ouï dire que, dans sa ville, vivait un mendiant, Archimède le toujours heureux, homme de peu qui était connu de tous pour sa bonne humeur et sa joie de vivre.

C'était un sujet d'interrogation pour notre prévôt. Comment pouvait-il être heureux, cet homme qui ne possédait rien ou si peu ? Il voulut s'enquérir du secret de ce personnage qui, chose insupportable, semblait plus respecté que lui dans sa propre cité. Il décida un soir de se grimer en vagabond et d'aller voir de ses yeux ce qui rendait heureux ce pauvre homme.

 

Contes pour un vernissage

Le prévôt frappa à la porte de la masure du mendiant : une cabane de planches disjointes, installée sur les quais, à la merci des fantaisies de la Loire et du vent. Le mendiant s'était préparé un brouet : une soupe épaisse pour unique repas. Le faux vagabond en guenilles, fut accueilli comme un roi, se vit inviter à finir de rentrer avant qu’Archimède lui offre de partager son modeste repas.

Le prévôt n'en revenait pas, lui si prompt à faire donner du bâton aux quémandeurs qui ne manquaient pas de se presser devant sa demeure. Il partagea ce repas et s'enquit de l'origine de ce plat. Archimède, le mendiant comprit la préoccupation du vagabond et lui avoua que c'était le salaire de sa journée de labeur : il avait proposé ses services à un pêcheur de Loire dont, toute la journée, il démêla ses filets.

Le lendemain, le prévôt qui avait retrouvé sa tenue et son statut, édicta un décret interdisant aux pêcheurs de sa ville d'employer des hommes de gratifier en nature qui se proposait de les aider. Il leur fallait désormais trouver compagnons de leur corporation ou se débrouiller seul. Ce mauvais homme, se disait qu'ainsi le mendiant serait moins heureux.

Il voulut s'en rendre compte quelques jours plus tard. Vêtu de nouvelles loques que ses conseillers eurent bien du mal à dénicher, il se présenta à la cabane. Cette fois, c'était le fumet d'un bon ragoût qui embaumait la modeste demeure. Archimède offrit une fois encore le partage de sa pitance à ce visiteur à la triste mine. L’imposteur voulut savoir comment il le clochard heureux s’était approprié de quoi casser la croûte.

Contes pour un vernissage

Le matin même, Archimède avait rendu visite aux mariniers. Sur le quai, des calfats, gens de peine qui enduisent de goudron la coque du navire, avaient besoin d'un assistant pour passer la journée à chauffer cette affreuse mélasse, sans cesser de la tourner. Il avait fait ce travail repoussant et avait hérité de quelques piastres pour s’acheter son ragoût.

Le lendemain, le prévôt à nouveau édictait une règle interdisant à qui n'était pas calfat de venir travailler sur le pierré sous prétexte que les corporations devaient rester figées. L'homme puissant voulait abattre le simple, celui qui se contentait de si peu et qui pourtant lui disputait la renommée et le respect dans sa propre ville.

Quelques jours passèrent ; à nouveau le prévôt se grima encore en dépit de son incapacité à passer pour un homme de peu. Il voulait à nouveau se rendre compte des conséquences de ses décisions sur cet homme dont le bonheur lui semblait intolérable. Archimède, ce mendiant bien nommé car chaque jour il quémandait un travail nouveau à qui voulait bien lui offrir sa pitance vespérale, reçut avec un curieux sourire son visiteur du soir.

Sans paraître surpris de ces visites à répétition, il partagea le fruit du travail du jour. Il avait aidé au déchargement des tonneaux d'un train de bateaux qui venait d'Orléans. Mais le mendiant qui n'était pas dupe, ne s'arrêta pas en si bon chemin dans ses explications. Il fit la longue liste de tous les travaux qui pouvaient, au fil des saisons, lui procurer chaque soir de quoi manger.

Le prévôt, se rendant compte qu'il était démasqué, coupa court à cette longue énumération des petits travaux dédaignés par tous et qui ne rebutaient pas le mendiant jovial. Il demanda à son hôte les raisons de cette litanie sans fin. Archimède lui répondit : « Monsieur le Prévôt, j'ai dévoilé vos manigances. Vous voulez savoir comment peuvent survivre ceux que la providence n'a pas dotés d'un métier ou bien d'une fortune, d'une bonne naissance et d'une position sociale. Vous voulez sans doute extirper la pauvreté de votre cité car vous considérez qu'elle fait tache à votre richesse et à la réputation de votre grande et belle cité !

Rassurez-vous, vous êtes un précurseur : dans l'avenir, beaucoup des vôtres voudront chasser les miséreux des grandes villes : mendiants, étrangers, vagabonds, sans papiers. Ne plus voir les pauvres sera leur idée fixe. Comme si la misère était contagieuse ! Ne vous y trompez pas : la présence des humbles et des démunis est la seule qui puisse vous donner l'illusion de votre puissance. Sans nous, une cité de riches deviendrait bien vite une jungle aseptisée, un espace inhumain et impitoyable.

Laissez-nous survivre, moi et tous mes pareils, dans votre ombre et vous aurez au moins le bonheur de vous sentir supérieurs, sentiment qui vous est nécessaire pour satisfaire votre orgueil démesuré. C'est ce que vous avez à retenir de cette expérience et il ne sert à rien de vouloir m'effacer. Rappelez-vous : c'est ma présence qui justifie votre puissance. Quant à moi, je suis heureux de ne pas subir les tourments qui vous rongent et jamais l'argent ne me servira de substitut au bonheur et de prétexte à toutes les bassesses dont je vous sais capable ! »

Le prévôt rentra dans sa demeure et fit chaque jour porter un repas à cet homme sage qui lui avait appris à ouvrir les yeux ; cette leçon en effet valait bien un plat chaud. Et puis, en cette bonne ville, Saint Loup était né et avait montré la voie du partage en s’en allant à Sens. Dans la cité prospère, tenu par les riches marchands, la générosité n’avait jamais eu sa place.

Contes pour un vernissage

A notre époque encore, bien des puissants ne supportent pas le spectacle de la misère autour d'eux, misère qu'ils aggravent encore chaque jour pour satisfaire leur appétit de richesse au détriment de tous les autres. Je connais ici des notables à qui cette recommandation serait salutaire pour la sauvegarde de leur âme.

C’est d’ailleurs une histoire presque semblable que nous a porté le vent insidieux de l’actualité. Elle m’est venue aux oreilles afin que j’en fasse un conte pour l’édification des masses. Je n’espère nullement être entendu des puissants ceux-là, dans leurs tours d’ivoires, n’entendent ni ne voient rien de ce qui se passe dans le peuple. Écoutez plutôt ce récit qui vous évoquera sans doute quelque vilain personnage.

Il était une autre fois, un Palais brillant quoique décrépit. L’hôte de l’endroit, Prince sans partage et homme hautain tout autant que méprisant, recevait-là, pour remplir une pénible obligation une horde d’oisifs, des êtres se contentant de vivre de la générosité publique. Tandis que le Prince vendait à la foule des gueux des colifichets et des babioles afin de remplir les caisses de l’endroit mise à mal parle changement de la vaisselle, l’un des visiteur lui réclama un emploi.

Le malheureux était jardinier de son métier. Il avait cru que dans un tel Palais, il y avait sans doute besoin de quelqu’un comme lui pour entretenir les espaces verts. Le quémandeur eut alors l’incroyable surprise d’entendre le bateleur d’occasion, ce jeune Freluquet au verbe si aisé lui répondre tout de go : « Il suffit de traverser la rue ! »

Le jardinier se retournant vit alors une chaussée encombrée de véhicules allant à vive allure. Il ne comprenait pas ce que ce personnage haut placé puisse lui tenir pareille galéjade cynique. Le Prince interrompit ses ventes pour lui expliquer qu’il suffisait de traverser pour devenir dans l’instant Maître queux.

Muni d’un panier dans lequel il avait apporté quelques légumes, voulant en faire présent à ce bon Prince, l’homme s’aventura dans l’instant à vouloir passer de l’autre côté de ce vaste espace incertain. Nous savons désormais ce qu’il advint de ce martyre de la crédulité, mais laissez moi le plaisir de vous narrer la scène.

L’homme voulait être jardinier, un humble travailleur de la terre. Il aimait ce métier qu’il avait choisi, il y avait été formé. Il avait besoin de se sentir en contact avec la nature et voilà qu’un guide, un gourou des temps modernes, un être supérieur sans doute, issu d’une caste d’élus, lui demandait d’affronter le bitume et l’asphalte, d’oser franchir cette chaussée incertaine sur laquelle roulaient des véhicules devenus fous.

Le brave jardinier ignorait alors que loin de l’humus, du terreau, il allait perdre ses racines, se mettre en péril et surtout affronter un monde sans règle ni pitié. Ses premiers pas sur ce territoire inconnu furent facilités par le chef suprême. Sa parole l’avait galvanisé, il avait foi en ce jeune personnage à la détermination extrême. Il avait mis un pied sur la chaussée, puis un second, poussé par sa confiance aveugle en celui qui devait changer le monde, lui aussi se mettait en marche …

Contes pour un vernissage

À son tour, le jardinier découvrait que c’était possible, qu’il suffisait d’un peu de conviction pour abolir les difficultés et qu’il convient de cesser de se plaindre pour passer à l’action. Des caméras étaient braquées sur lui, les télévisions de tout le pays relayaient l'événement. Dans la nation toute entière, chacun retenait son souffle. Ses semblables, ceux qui depuis si longtemps avaient été laissés sur le bord du chemin, cette route réservée aux seuls privilégiés, bien à l’abri dans leurs limousines aux verres teintés, le suivaient des yeux, espérant eux-aussi, jouir de cette folle espérance.

Chacun était gagné par l’émotion. Le suspens était à son comble L’homme allait-il parvenir à vaincre cette course d’obstacles ? Pourrait-il se faufiler dans le flot des nantis, des électeurs du grand marcheur ? Sortirait-il entier de ce trafic endiablé ? Il était là, au milieu de la circulation tel un toréador dans l'arène. Un frisson parcourait spectateurs comme téléspectateurs tandis que son guide avait depuis longtemps tourné le dos.

Le gentil conseilleur en effet avait d’autres chats à fouetter. Les finances de son délicieux Palais étant dans un état déplorable, il était contraint de profiter de cette journée Portes ouvertes pour jouer les colporteurs, les marchands d’illusion, ue activité qui lui allait si bien. Il devait vendre des babioles, toutes fabriquées dans des nations lointaines et défavorisées. L’’essentiel pour lui était de réaliser des bénéfices substantiels pour refaire à la fois la façade de son palais et celle de son épouse.

Pendant ce temps, le jardinier était planté au milieu de la route. Ayant échappé plusieurs fois au pire, il était pétrifié, incapable d’aller plus loin. Des bolides passaient de chaque côté, tous klaxons hurlants. Il avait trouvé refuge, si ce terme avait encore un sens dans sa situation, sur un vieux clou, ultime vestige d’une époque lointaine où les piétons traversaient en sécurité, simplement pour aller de l’autre côté de la rue.

Le jardinier aurait aimé se sentir pousser des ailes. Il aurait pu ainsi se sortir du mauvais pas dans lequel l’avait placé ce beau parleur. Maintenant, il n’avait plus le choix. Ne plus bouger et il risquait de rentrer dans la catégorie des chômeurs de longue durée, non indemnisés. Avancer encore et il allait être broyé par cette société dans laquelle il n’avait jamais trouvé sa place. Sur le trottoir, les cris d’encouragement semblaient le pousser à oser ce saut dans l’inconnu, cette multitude active et en mouvement qu’il avait regardée jusqu’alors de trop loin.

Il écouta la foule, il fit un pas de plus, un pas de trop. Il fut écrasé par un transport de fonds qui se rendait en Suisse mettre à l’abri des capitaux précieux. Son corps passa sous les roues, il fut laminé. Il n’était plus que de la charpie, happé, broyé, éviscéré par tous les autres véhicules, indifférents, qui passaient, négligemment sur ses restes. Face à cette horreur, les autres, ceux qui auraient pu suivre ses pas se retournèrent contre celui qui l’avait poussé dans cette équipée sauvage …

Le Prince, tout en comptant et retenant les bénéfices de son opération de promotion patrimoniale, se retourna alors vers la terrible scène qu’il avait indirectement provoquée. Surpris qu’on puisse s’indigner de ce qui venait de se passer, il déclara : « Que me reprochez-vous ? En lui proposant de faire de la cuisine plutôt que du jardinage, je ne me suis pas trompé. Voyez le résultat, il est au-delà de mes promesses. L’homme courageux qui m’a écouté a réalisé son projet. Il ne pouvait espérer au mieux qu’une jardinière de légumes et son projet est consommé, un potage vaut mieux qu’un potager ! »

Cette fois, Freluquet, puisqu’il s’agissait de lui, était allé trop loin. Il venait de montrer son véritable visage tout autant que le profond mépris qu’il avait pour cette plèbe dont il prétendait faire le bonheur sans jamais croire à cette affirmation. Ceux qui avaient avalé sa promesse d’emploi de l’autre côté de la rue, le poussèrent dans le flot de la circulation. Il fut à son tour écrasé, non pas par le flot des véhicules mais par la colère des laissés pour compte.

Partageusement sien.

Toutes les photographies sont de Clodelle Claudine qu'on peut trouver sur son site

http://www.clodelle45autrement.fr/

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