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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Corbeau un jour, corbeau toujours.

On ne se refait pas.

 

 

 

Un corbeau avait de qui tenir. Fort d'une généalogie qui avait fait couler beaucoup d'encre, l'animal avait quitté sa Beauce pour venir couler des jours heureux en bord de Loire. Il pensait échapper aux travers qui avaient fait la réputation d'un glorieux devancier tout en s'imaginant que passer de l'encre à l'ancre serait pour lui manière de s'exonérer d'une réputation qui lui collait à la plume.

Hélas, l'atavisme est parfois le plus fort et son changement d'air ne fit qu'accroître ses ressentiments et son acrimonie pour ses semblables. Non seulement auprès de la rivière, il ne régnait plus en maître absolu comme il le faisait en Beauce depuis que l'alouette avait tirer sa révérence, mais qui plus est, il avait fort à faire avec des cousins qu'ils fussent Germains ou bien à la mode de Bretagne.

Dès son installation sur les quais, notre corbeau se rendit compte que la Corneille le prenait de haut, la dame ayant investi les plus hauts platanes de la place. Elle avait son nid avec vue sur la Loire, position dominante et réputation qui faisait bâiller d'aise bien des observateurs. Certains la prétendaient même d'une intelligence remarquable au point de rivaliser avec les grands singes.

Corbeau lui faisait le bec, la battait froid et avait l'envie de lui voler dans les plumes. Hélas pour lui, la dame vivait en bande tandis qu'il avait le choix de vivre quasiment en solitaire, s'étant coupé de ses congénères pour diverses raisons. On le disait irascible, jaloux, prompt à s'emporter et fort mauvais coucheur. Il y avait de quoi en faire tout un fromage ce qui faisait de notre Corbeau un voisin fort peu coulant.

Il s'appliqua à noter le comportement de Corneille pour établir contre elle un dossier à charge. Il constata sa propension à attaquer les nids de hérons, à s'en prendre d'abord aux œufs puis aux petits oisillons. Il y avait là de quoi se concilier l'opinion publique pour peu qu'il prenne la plume pour écrire quelques chroniques bien senties.

Pour son malheur, Corneille n'en fit pas une tragédie. Elle avait elle aussi un fort petit talent de plume et sut se mettre les lecteurs du canard local dans la poche. Elle noircit quelque peu le tableau, forçant le trait sur le comportement d'un corvidé comme elle qu'elle n'hésitait pas à qualifier de charognard. Le terme porta et fit de notre freux chevalier ailé, le chat noir de la place.

Corbeau ne s'en tint pas là. Il avait perdu une bataille mais une autre guerre se présentait à lui qu'il entendait bien gagner cette fois. Cormoran le débectait à un point qu'on ne peut imaginer. Non seulement il avait l'outrecuidance de se faire appeler Corbeau marin mais qui plus est, n'était pas de la même famille. Autant Corbeau avait accepté de baisser pavillon devant Corneille, tous deux étant des corvidés. Dans une famille, il est parfois bon de se serrer les ailes !

Cette fois, il en allait tout autrement. Quand il apprit que Cormoran appartenait à une famille au nom imprononçable pour qui se contente de croailler : « Phalacrocoracidae », il vit dans ce terme une certaine ressemblance avec un terme qui lui collait à la plume. Phallocrate certes mais plus encore Misanthrope aimant à pratiquer l'ostracisme sous toutes ses formes, il entreprit de partir en guerre contre cet ennemi de fleuve.

Cormoran allait en bandes compactes. Corbeau ne pouvait faire face dans un combat à armes inégales d'autant que son adversaire disposait d'une supériorité navale incontestable. C'est ce qui poussa notre plumitif jaloux à se mettre la patte à l'encrier à l’instar de son illustre devancier Klébert.

Sa haine de Cormoran était telle que ce fut pour lui la bouteille à l'encre, le retour aux travers familiaux. Corbeau prit sa plus belle plume pour envoyer une lettre de dénonciation à l'amirauté, se plaignant amèrement que Cormoran non seulement n'était pas natif de nos rives mais qui plus est, usait de l'espace fluvial sans la moindre autorisation. La délation ne donne de satisfaction que s'il demeure anonyme, Corbeau s'appliqua donc à respecter cet adage.

La missive parvint à l'Amirauté par le truchement d'un pigeon voyageur. Ces pratiques pour archaïques qu'elles soient à l'ère numérique, n'en demeurent pas moins d'une efficacité redoutable car elles annihilent toute possibilité de traçage. Corbeau était passé maître en ce domaine, sa réputation n'étant plus à faire.

Cependant, le fonctionnaire chargé de vérifier les déclarations de cet accusateur inconnu, perçut à deux ou trois indices, l'auteur caché de ce brûlot. Il fit néanmoins son travail pour contrôler Cormoran qui avait eu la sagesse de déclarer sa présence en Loire à la Ligue de Protection des Oiseaux. Corbeau était de la revue.

Corbeau se trouvait une fois encore le bec dans l'eau. C'est justement ce qui le mit sur la piste d'un échassier au bec long qui avait investi sans permis de construire le duit. Usant de la même procédure, c'est vers madame la préfète qu’il envoya une nouvelle lettre de dénonciation en usant cette fois d'une bouteille à la Loire.

La sous-préfecture donnant sur le quai, il avait bon espoir que son message parvint à sa destinataire. Il n'en fut rien, les bouteilles sur la berge sont légion au point que le service de nettoiement s'emploie à faire place nette après les agapes vespérales. Héron ne fut pas inquiété tandis que Corbeau se mit en quête d'une nouvelle victime.

Ne trouvant plus le moindre attrait à suivre les méandres de ce caractère atrabilaire, je laissais mon collègue écrivain à sa plume noire et entreprit de vous narrer son histoire. Il est possible que la lecture de ses exploits mette un terme à ses agissements. Il en irait de la quiétude des oiseaux ligériens.

À contre-plume.

 

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