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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Se dorer la pilule …

Gloire au mélanome

 

 

La pilule n'est pas facile à avaler. Depuis toujours, elle reste en travers de la gorge, se refuse à se glisser discrètement dans le gosier. La science galénique a dû faire des prodiges pour que le quidam parvienne à prendre son cachet en buvant un verre d'eau. Le principe actif s'est vu mélanger à des excipients divers et agréables pour passer par-dessus d'éventuels goûts indésirables.

Puis le tout fut rendu fort agréable par un choix d’enrubannage aux couleurs plaisantes de la gélule au cachet. C'est ainsi que la pilule des apothicaires aux industriels de la pharmacie fut ointe d'une mince pellicule qui flatte l'œil et pousse à la confiance les yeux fermés et la bouche grande ouverte.

Au tout début de cette volonté de leurrer le malade, de lui faire avaler des couleuvres ou simplement de détourner son attention, la fameuse pilule fut dorée sur tranche. C'est ainsi que naquit l'expression « Dorer la pilule » qui en ce temps lointain se passait aisément de la forme pronominale puisqu'un tiers agissait pour tromper le patient.

Puisque se « dorer » faisait référence à l'onction, l'enrobage ou l’ouverture par un produit qui modifie l'aspect, le XX° siècle a franchi un pas décisif dans le Narcissisme solaire en passant de la pilule pharmaceutique à la face des estivants alanguis sur le sable. Toutes les crèmes, onguents, laits et huiles possibles vinrent dorer des visages qui s'exposaient intensément au soleil.

Les lois du commerce devinrent alors paradoxales. Dans le même temps, du côté de la tenue de plage, on s'orienta vers une réduction drastique des surfaces couvertes jusqu'à tout éliminer dans certaines pratiques tout en augmentant considérablement le prix du millimètre carré de textile tandis que de l'autre, les marchands d'enduits solaires étendirent leur zone d’épandage à tout ce qui se découvrait ipso facto et recto-verso.

Seule l'eau eut à se désoler de ce passage de la pilule aux corps des naïades et des apollons des plages puisqu'une pollution insidieuse et terriblement néfaste accompagne la nécessaire pratique du trempage suivi de recouvrement complémentaire d'huiles solaires. Le bronzage parfait suppose cette alternance complexe, posologie d'un futur mélanome qui se respecte.

Le Narcisse sablier pour être parfaitement halé sans tirer sur la corde, se lance dans une exposition complexe qui tient compte à la fois du mouvement de l'astre solaire, de la répartition harmonieuse de ses rayons sur les différentes parties d'un corps qui doit même accepter quelques contorsions délicates pour obtenir une teinte uniforme tirant le plus possible sur le brun et plus si affinité.

On peut s'étonner de cette recherche de l'uniforme en pleine nudité à moins que la couche épaisse de produits chimiques et toxiques constitue une couverture acceptable pour ces hédonistes graisseux. Toujours est-il que l'expression « Se dorer la pilule » eut un succès considérable au point qu'il porte en elle, les délices du farniente sur le sable.

La forme Pronominale souligne naturellement l'irruption non d'allergies solaires qui attendront patiemment leur heure, mais de la forme la plus élaborée de l'égocentrisme de l'humain estival qui atteindra son apogée avec l'incontournable selfie sur les lieux mêmes de sa réalisation. Se dorer au soleil ne suffit plus, il convient de le faire savoir à la terre entière en exploitant quelques satellites pour propager son image.

Je devine qu'en agissant ainsi ce n'est certainement pas à notre pauvre planète qu'on dore la pilule mais plus à toute la chaîne économique qui participe à cette naissance des futurs mélanomes. Quant à moi, je me couvre et pas seulement le visage devant pareille folie me fichant éperdument d'être blanc comme un cachet d'aspirine que je vais m'empresser d'avaler pour supporter le mal de tête que ces comportements me provoquent.

À contre-jour.

 

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