De l'ombre à la lumière

6 Janvier 2023

Son retrait au flambeau

Quel curieux pied de nez à l'histoire que cette sortie en pleine lumière pour celui qui s'était appliqué jusque-là à rester dans l'ombre des plus grands comme des plus humbles. Il sera cette fois sur le devant de la scène, vedette unique de ses adieux au music-hall. Il n'y aura pas de rappel, le rideau qui tombera sera hélas, celui qu'on ne soulève plus jamais.

L'homme de la régie lumière, discrètement, obstinément a fait son chemin auprès des plus grands noms de la scène nationale. La liste de ceux qui tombèrent sous les faisceaux de sa poursuite sera trop fastidieuse. Ils sont tous là ou presque pourvu qu'ils aimassent la chanson française de qualité. Il éclaira leur chemin, mit à certains le pied à la célébrité et sut rester cet artisan modeste, ce technicien de la clarté.

Au fil des expériences, il augmenta sa palette en se préoccupant également du son, non pas celui qu'on donne aux ânes, mais ce son audible, compréhensible qui se met au service d'un texte que le public doit comprendre. Le yaourt, très peu pour lui, tout comme sa lumière pour les yeux, le son de notre prince des consoles devait sauter aux oreilles sans jamais les blesser.

Des théâtres, des podiums, des salles municipales, des scènes en extérieur, des lieux confidentiels, nul défi ne le rebutait. Il avait à chaque fois la même exigence, le même souci du détail et de la qualité. Il a également souhaité transmettre une technique qu'il avait élevé au rang d'art en partageant son savoir avec une générosité extrême pour les plus jeunes.

J'ai croisé un temps ce grand monsieur. L'apprenti saltimbanque, le misérable palabreur eut droit à autant de respect et d'attention que les plus grands, ceux dont il serait vain de vouloir se comparer. Et pourtant, pour lui, qu'importe l'artiste ou le personnage en face de lui, il faisait preuve de la même attention, du même soin du détail, de la même exigence.

Mieux encore, lui qui avait côtoyé les vedettes qui sont connues de tous, il considérait le débutant, le pauvre amuseur au même titre que ces étoiles qui partagèrent sa vie professionnelle. En cela il est un exemple, je n'ose dire un modèle à suivre, tant dans ce milieu, l'humilité est une denrée rare tandis que la générosité ne semble plus faire partie du programme.

Le témoin d'un temps hélas révolu a tiré sa révérence, lui qui avait un cœur gros comme ça, a justement cédé de ce côté-là. Un ultime coup de cœur pour celui qui n'en a jamais manqué, qui avait avant tout la passion du spectacle vivant, qu'importe l'échelle à laquelle il évoluait. Rendre compte de cette vie c'était la mettre en son et lumière, dans une théâtralité qui la rendait plus vivante encore.

Il quitte la scène sur un dernier coup de projecteur, un retrait au flambeau pour n'être plus que poussière, lui qui restera à jamais lumière. À n'en point douter, il sera poussière d'étoile. Et longue est la liste de ces étoiles qui doivent l'attendre au firmament. Une sortie s'impose sous vos applaudissements, lui qui ne reçut bien souvent que l'écho de ceux qui s'adressaient aux arrtises pour lesquels il œuvrait magnifiquement.

J'ai fait en sorte de ne citer aucun nom, pas même le sien, parce que lui plus que beaucoup d'autres, savait que le spectacle doit continuer, que rien ne doit l'interrompre. Il va souffler le chaud, s'éteindre tandis que des paillettes dans nos yeux, éclaireront son dernier tour de piste.

La coutume veut qu'en pareille circonstance, on adresse nos condoléances aux siens, à ses proches, à ses amis. Qu'ils me pardonnent, c'est au monde du spectacle que je veux offrir les miennes car celui qui entre dans les ténèbres y laissera un grand vide, une forme complexe de trou noir. Adieu, maître des lumières, éclairagiste céleste.

À contre-jour.