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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Le conseil du hérisson.

L'arbre à pain.

 

 

 

 

Il fut au temps jadis, un arbre de vie sans lequel, dans bien des territoires, humains et animaux seraient morts de faim. Ses fruits avaient le double avantage de donner assez d'énergie pour supporter les frimas de l'hiver tout en se transformant en farine, en purée, en confiture, grillés ou bien offerts au cochon qui plus tard remplira le saloir.

Les anciens, avec vénération l'appelaient l'arbre à pain tandis que les plus gourmands disaient de lui qu'il était l'arbre à saucisses, puisque sans lui, le goret cessera de faire l'andouille. Le châtaignier avait de plus l'incontournable avantage de pousser sur des terres acides sur lesquelles les autres récoltes ne sont pas fameuses.

En ce temps-là, les châtaigniers n'avaient pas encore compris comment se prémunir des galopins, poussés par la faim, qui ne prenaient pas la peine d'attendre que ses fruits soient murs. Agiles et légers (la surcharge pondérale n'était pas de mise dans la rigueur de cette époque de carence), les chenapans montaient aisément à l'arbre pour y cueillir des châtaignes que le grand créateur n'avait pas protégées. Un oubli de sa part qu'on peut largement excuser tant il avait eu de l'ouvrage pour tout concevoir de manière rationnelle.

Ainsi, les enfants se goinfraient de fruits qui n'étaient pas arrivés à maturité et qui plus est, ils les mangeaient crus pour échapper aux remontrances des adultes. Curieusement, ces derniers se rendaient rapidement compte de la malveillance de leurs rejetons et les admonestaient vertement. Les plus jeunes se demandant toujours comment les adultes se rendaient compte de leurs chapardages trop précoces.

 

 

Il me faut à la vérité éventer l'astuce des parents. Il n'y avait là nulle surveillance excessive des faits et gestes des plus jeunes ni utilisation d'appareils électroniques pour épier tous leurs gestes. L'époque permettait encore aux enfants d'agir à leur guise loin d'un espionnage technologique de leurs géniteurs. La chose est si prosaïque que je ne sais si vous accorderez foi à mon propos.

Les enfants qui mangeaient des châtaignes crues se signalaient à toute la collectivité par des flatulences nauséabondes qui ne trompaient personne. La sanction parentale précédait la colique ce qui n'empêchait nullement les gredins de recommencer. L'éducation est un long chemin semé d'embuches d'autant que certains, pris de maux de ventre, tombaient de leurs branches alors qu'ils étaient en pleine action.

Les adultes étaient mécontents tandis que les châtaigniers se désolaient de voir ainsi se perdre une proportion non négligeable de leurs fruits et que les enfants passaient plus de temps qu'il n'en fallait perchés sur les branches pour se goinfrer ou bien échapper aux représailles. Toutes les parties étaient sur les dents, chacune ayant à se plaindre des autres sans que quiconque ne trouve une solution acceptable pour les deux autres.

L'arbre surtout qui voyait son rayonnement mis à mal par un gaspillage éhonté qui lui faisait perdre toute l'importance qu'il avait dans la communauté. Les fruits qui échappaient à la gourmandise juvénile finissaient dans une soupe que les enfants, pour se faire pardonner, complétaient par le cadavre d'un petit écureuil ou d'un hérisson, deux des compléments protéinés les plus utilisés en ce temps-là.

C'est fort d'une fraternité très présente dans la nature que ces trois-là tinrent un jour conciliabule pour sortir de cette impasse dans laquelle ils finissaient par s'enliser. L'écureuil, la queue en panache et la langue bien pendue conseilla au châtaigner de concentrer sa récolte tout au fait de sa ramure. Là où les enfants ne parviendraient pas à grimper. L'animal n'avait pas fait proposition innocente, il y trouvait son intérêt, éliminant ainsi des concurrents redoutables.

L'arbre faillit se plier à la remarque de son hôte quand il se gratta la tête afin de mieux mettre le doigt sur l'inconvénient majeur de cette hypothèse. Tout ce fardeau placé sur sa partie la moins solide risquait de mettre à mal son équilibre tout autant que son esthétique. Il voulait conserver son harmonie dans une belle répartition de l'offrande qu'il accordait à tous ceux qu'il nourrissait.

Le hérisson, très terre à terre, était resté au pied de l'arbre, ne se mêlant à la conversation qu'à distance. Il se hérissait d'être ainsi une vulgaire proie tout juste bonne à donner un peu de goût à une soupe. Il aurait aimé qu'on lui accorde plus d'importance mais seuls ceux qui vont sur les chemins, avaient fait de lui un plat de roi. Contrarié tout autant qu'hérissé, il trouva l'argument clef qui changea la vie de tous les châtaigniers de la terre.

Comme il trouvait que l'arbre le prenait souvent de haut, il se dit qu'il obtiendrait réparation en lui glissant une suggestion digne de ceux de son espèce. Le hérisson, se mettant en boule, déclara de manière péremptoire : « Arbre, tu n'as qu'à glisser des fruits dans des bogues piquantes qui en interdiront l'accès aux enfants tant qu'ils ne sont pas tombés de l'arbre ! ».

L'idée fut séduisante, elle retint l'attention du châtaignier ce qui n'eut été que de peu d'importance mais plus encore du créateur, qui se mordait les doigts d'avoir ainsi laissé une faille dans son grand œuvre dans laquelle s'engouffraient sans vergogne les enfants d'Adam et Eve. Ainsi, l'automne suivant, sa négligence fut réparée et les châtaignes se lovèrent dans un écrin piquant.

Le hérisson, la chose est injuste et mérite de vous être livrée, ne reçut jamais la moindre reconnaissance de la part du grand créateur pour cette formidable innovation qui eut mérité le grand prix du concours Lépine. Ainsi va la vie sur Terre, que vous soyez puissants ou misérables, les retombées ne sont pas identiques. Seul le châtaignier tira les marrons du feu !

À CONTRE-SENS.

 

 

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