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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

L'escapade.

Une chaussette se fait la maille.

 

 

 

Il advint qu'une chaussette, de fort bonne compagnie du reste, en laine et sans couture, lasse de servir de doublure à une comparse avec laquelle elle ne s'entendait guère, décida de se faire la belle. Si la chose peut surprendre, elle n'en demeure pas moins fort délicate pour une demoiselle, habituée à se lover dans des chaussures pour prendre son pied.

La chaussette avait pris le prétexte d'un œil de perdrix pour jouer la fille de l'air. Une ampoule eut tout aussi bien fait l'affaire, qu'importe l'occasion en la circonstance pourvu qu'elle ait l'ivresse de la liberté. Ce qui, du reste ne manquât pas d'arriver car la belle se trouva libérée tout près d'un torrent de montagne.

En quelques contorsions imperceptibles, elle prit la tangente, se défilant ainsi sans demander son reste. Après une longue ascension, la fugueuse, l'estomac dans les talons, se dit que ce n'était pas en courant qu'elle pourrait prendre le large mais plutôt au fil de cette onde pure dans laquelle aimait à se baguenauder des écrevisses de fort belle taille.

La chaussette en pinçait du reste pour cet animal qui aimait par-dessus tout à ne pas mettre un pied devant l'autre pour tailler sa route ou faire son chemin. Le risque avec de telles relations était naturellement de faire son trou, d'en avoir gros sur la patate. Une perspective qui n'était pas pour déplaire à celle qui savait la solidité de sa maille, la qualité de son tissage et la réputation des moutons dont elle avait tiré sa matière première.

La chaussette était aux anges d'autant que le torrent dévalait la montagne sans la moindre difficulté ni la plus petite goutte de sueur. Pour une fois, elle profitait de la griserie de la vitesse sans devoir en supporter les odeurs ni les agressions diverses. Elle se laissait filer, dévalant la pente qui, coïncidence suprême descendait de l'aiguille du midi ; une juste revanche pour celle qui avait fini en chaussette alors que son rêve avait été de devenir écharpe.

Elle s'imaginait côtoyer les cimes sans pour autant se faire bonnet : elle avait toujours eu les pompons en horreur. Envelopper un cou, mon dieu quel pied, c'était tout à la fois rendre un fier service, épargner bien des maux de gorge tout en s'affichant avec ostentation. Au lieu de quoi, elle devint chaussette, dans l'indifférence presque générale, une chaussette au petit pied, qui non seulement ne se montait pas du col mais qui plus est, avait de quoi se confondre avec une socquette.

Il n'était plus temps de déplorer son sort, elle filait de plus en plus vite, allant même à se demander si l'aventure ne tenait pas du mauvais coton. Elle allait à une vitesse folle, descendant la pente à en perdre haleine. Elle était en pleine interrogation métaphysique, un drame pour une chaussette qui s'interroge sur son devenir.

Que quelqu'un la trouve, égarée sur un rocher, au milieu du torrent ou bien à la dérive et que deviendra-t-elle sans son alter ego, son inséparable compagne qui se levait toujours du pied gauche ? La liberté soudain prenait une terrible inflexion. Que peut-on bien faire d'une chaussette esseulée, dépareillée, vagabonde ? On dirait d'elle qu'elle avait un grain, une folie qui la mettrait au ban de la société des pieds à chausser.

C'est alors que de ses réflexions, de fil en aiguille, elle perdit de vue ce qui lui arrivait, assez pour se montrer étourdie au point de boire la tasse. Ce fut le déclic, l'opportune révélation sur la manière de se reconvertir dans l'existence. Elle arrêta sa course folle à hauteur d'une auberge où l'on faisait encore un merveilleux jus de chaussette, un café qui passait délicatement pour embaumer les gourmands. La chaussette venait de trouver son havre de paix.

À contre-fil.

 

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