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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Visage

À découvrir de toute urgence …

 

 

Il fut ce dont nous avions hérité de nos parents, des leurs et de cette longue lignée que nous nommons humanité. Nous avons grandi avec lui tout en tentant de l’apprivoiser, de l’accepter, de lui pardonner les ingratitudes que nous avions reçues de la loterie génétique. Ce ne fut pas chose aisée, souvent il exprimait à sa manière des manifestations de colère ou de honte quand une remarque sourdait d’un camarade qui voulait faire mal et touchait un point sensible : votre figure !

Les uns étaient trop pâles, les autres trop colorés, celle-ci était couverte de taches de rousseur ; des éphélides, celui-là était comme une tomate. Tous grandirent pourtant et se firent une raison, ils étaient unis pour le meilleur ou pour le pire avec une gueule qui leur revenait en propre. Nous devions tous marcher tête haute, la découvrir à l’école et chez les gens car elle était le meilleur de nous-même. C’était encore un temps où nous allions chez un photographe professionnel pour établir une photographie d’identité tout en lui accordant le plus joli sourire possible car en cette époque reculée, le sourire n’était pas prohibé des documents officiels.

Nous aurions dû y prendre garde. Réclamer une face de carême sur la carte d’identité c’était le passeport pour finir par voiler la face. Un monde de robot sans visage en somme où l’humain est invisible devant la grande machine à broyer les individus. Mais revenons à ce que nous devons désormais cacher pour notre bien et celui des autres, paraît-il !

Le bout du nez ne s’allongera plus à moins qu’il ne provoque une excroissance sous le tissu. Les parents ne pourront plus mener leurs rejetons par ce petit bout qui affichait, le traître, le mensonge et la duperie. La chandelle ne sera elle non plus visible et ira se la couler douce dans cette protection absorbante tandis que le loup échappera à la vigilance des adultes. Les morveux le resteront en toute discrétion.

La bouche n’affichera plus les sourires édentés, les trouées que la petite souris a exercées de façon malicieuse. Tout ceci doit rester dans le secret du cabinet dentaire. Il faut cacher tout ça et le reste. La bouche est le siège de tant de paroles délétères qu’un bon bâillon fera l’affaire. Museler les gens afin qu’ils mettent en sourdine leurs récriminations et qu’ils avalent leurs colères. Les bandits d’alors cachaient les yeux de leurs victimes, les nouveaux renégats se contentent du bas du visage.

Oublions le nez rouge de nos farces enfantines, le maquillage des demoiselles pour leurs premières surprises parties. Le rouge se mettra au front sous ce déguisement de la honte et nulle part ailleurs. Il n’y aura plus de distinction, une foule uniforme avançant la tête basse sous le regard de caméras de surveillance condamnées au chômage technique. Un voile tombe sur la société, celui de la peur, de la terreur et de la honte d’être soi-même.

Il n’y aura plus de miroir pour prétendre que Blanche Neige est la plus belle de toutes. La vilaine sorcière qui habite au palais n’aura plus à redouter la comparaison. Elle conservera son jeune Prince Charmant, il n’a d’ailleurs pas du tout envie d’aller courir le guilledou. Les contes de fées se contenteront de bals masqués et de corps sans visage. L’ogre n’aura plus rien à se mettre sous la dent, il sait que ouvrir sa grande gueule lui vaudra une amende forfaitaire de 135 euros.

Les musées ont du pain sur la planche. De toute urgence il convient de ranger tous les portraits dans les réserves. La face se retire laissant la place au revers. C’est la défaite de la civilisation. Nos têtes sont mises à prix pour une fiscalité sanitaire qui se joue sur deux tableaux : l’amende et l’achat du masque. Narcisse devant le trouble que provoque chez lui l’opacité de son reflet a préféré se noyer dans ses larmes. Les visagistes ferment boutique et le buste de Marianne nous présente désormais une nuque insipide.

Vous ne comprenez pas pourquoi je tire la lippe, que je baisse le museau, que je fais la moue ? Vous oubliez sans doute que nous nous dressions jadis contre ces sociétés qui voulaient cacher le visage des femmes ? Vous avez la mémoire bien courte il me semble il suffit d’un petit carré blanc ou bleu venu cacher toute expression pour que vous en avaliez vos convictions. L’effacement de la joie, du plaisir, de la surprise, de l’étonnement et que sais-je encore, prépare à une redoutable époque, celle des zombis sans visage !

Envisagement vôtre.

 

 

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