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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

À la rencontre d’un aventurier

Instants volés

Il s’appelle Anthony et depuis bientôt deux mois et demi, il suit les traces des glorieux anciens, pas ceux qui naviguent aujourd’hui sur la Loire avec des moteurs qui leur simplifient grandement la vie, mais les véritables mariniers d’antan qui remontaient le courant à la voile, à la bourde ou bien au halage.

 

Parti de son port d’attache, Ancenis, là où cesse l’influence de la marée pour entamer véritablement une rivière d’eau douce, je l’ai retrouvé à Meung-sur-Loire. Il avait été pris en charge par l’association « Cœur de Loire » de Claire et Denis. Ils étaient déjà partis à son aide pour le franchissement du barrage de la centrale de Saint Laurent des Eaux. EDF, empire dans l’état s’autorisant de barrer la Loire sans offrir aucune possibilité de passage, un scandale validé par des autorités complices et pleutres.

 

Cette fois, c’est le passage des ruines du vieux pont de Meung-sur-Loire qui faisait obstacle, un seuil imposant qui interdisait le passage à la voile. Denis en bon Samaritain des flots vint à la rescousse avec son « Bateau Atelier ». Il s’en souviendra longtemps du reste car durant de longues minutes, alors qu’il tractait le Jean-Jean d’Anthony, à bout de puissance, il resta en équilibre au creux du goulet jusqu’à pouvoir en échapper grâce à de patients mouvements de godille.

 

Anthony déjeunait chez ses hôtes quand nous arrivâmes, Georges et moi. Nous découvrîmes un homme las, usé sans doute par un périple hors du commun, le dos en capilotade et les traits tirés. Il venait du reste de prendre la décision d’arrêter sa folle épopée à Orléans lui qui avait initialement pensé aller jusqu’à Nevers. Choix judicieux au regard des conditions de vent et de l’histoire.

 

Bien vite, la conversation a tourné sur les conditions de navigation, les passages délicats, les techniques de halage, les astuces découvertes par le marin au fil de son périple. Il était totalement dans son aventure, évoquant les personnages qui l’avaient aidé à entreprendre ce parcours. Les citer serait prendre le risque d’en oublier.

 

Rapidement cependant, j’ai senti que notre homme avait grand désir de se retrouver seul. Je me souvins alors qu’il en était de même pour moi lorsque je descendais la rivière en canoë. Je respectai donc ce désir sans l’importuner avec des questions. La Loire a cette capacité à vous envahir totalement, à vous placer en marge des terriens lorsqu’on vit pareille expérience.

 

Je pris cependant quelques bribes d’information en dehors de tout ce qu’il pouvait évoquer de l’aspect navigation, le sujet qui lui tenait de très loin le plus à cœur. N’étant pas un spécialiste de la chose, je préfère ne pas écrire de sottises. J’appris donc que notre homme, sur terre, est un artiste aux mille facettes. Guitariste, chanteur, il compose des chansons qui sont dans la veine de celles de Brel ou Lesprest. Il se fait accompagner par un accordéoniste pour un duo envoûtant.

 

En voyant les innombrables astuces qu’il avait su mettre en place sur sa toue pour naviguer en solitaire, j’avais compris qu’il était ingénieux et habile. Je ne tardai pas à comprendre qu’il exploitait ce don en étant encore marionnettiste et prestidigitateur avec sa compagne. Il prit d’ailleurs plaisir à évoquer son travail consistant à mêler ces deux activités qui habituellement ne sont pas réunies.

 

L’homme, flanqué de son adorable petit chien, se mit alors à décrire son univers scénique. La magie au service du rêve, de la fantasmagorie avec l’utilisation de piafs qui viennent se poser sur les mains des marionnettes. Il avait alors de petites lueurs dans son regard fatigué quand il évoquait cet aspect de son travail.

 

Puis, il voulut bien vite nous quitter, partir à la recherche de bois flotté pour alimenter son chauffage dans sa petite cabane. Manifestement la compagnie lui pesait un peu. Il allait alors passer quelques jours à l’arrêt, la météo ne promettant pas de vent d’ouest d’ici quelque temps. Nous respectâmes son désir de solitude en lui promettant d’être présents au bout du pont Royal pour tirer la corde de halage ce que nous fîmes en ce dimanche 24 mars, point final de son incroyable périple.

 

Je ne puis vous en dire d’avantage. L’homme pourtant n’a eu de cesse de communiquer durant son épopée par le truchement de petites vidéos sur sa page facebook. Je vous laisse le soin d’aller les regarder, vous en apprendrez bien plus qu’au travers de ces instants épars, presque dérobés. La Loire l’a transformé et nous nous devions de le laisser avec elle …

 

Distancement sien.

Photographies de François Guillement

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