Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

La racontée sans écho.

La racontée sans écho.

Du vide à la vie

 

 

J’aime leur raconter des histoires, les prendre ainsi par le cœur et les amener à croire les boniments du conteur. J’aime ces moments uniques quoique que, je vous dois la vérité, ce ne fût pas si simple. Acceptez donc de suivre ce voyage troublant.

Il était une fois un bien étrange public confronté à un drôle de conteur à moins que ce ne soit l’inverse. Les uns avaient élu domicile dans un univers mystérieux au centre d’une lointaine et silencieuse contrée. L’autre rêvait de leur faire partager ses fantaisies et ses délires par le seul truchement de ses mots et de ses mimiques. Leur rencontre pouvait-elle avoir lieu sans qu’aucun échange ne fut possible ?

Il est bien difficile, voire totalement impossible d’appréhender ce qui se passe dans l’esprit de ceux qui sont touchés par ce douloureux présent de la destinée. Le conteur, pour une fois, devait chercher ses mots pour atteindre leur âme Il lui semblait impossible de pénétrer ce qui échappe à la fois à notre entendement et à notre perception de la norme. Il découvrait bien naïvement sans doute que la vie, tout naturellement, est présente chez ces personnes de chair et de sentiments qui se cachent derrière le mur de leur silence.

Il avait suffi qu’un éducateur pousse le conteur à mettre ses pas et ses mots au sein même d’une Maison d’Accueil Spécialisé pour que l’incommunicable se brise derrière les grimaces et les élucubrations d’un passeur d’émotion. La rencontre ne se passa pas sans anicroches ni interrogations ! Chacun devait s’apprivoiser, découvrir les failles tout autant que les trésors des autres protagonistes.

Face au raconteur, des hommes et des femmes, des adultes qui faute de langage, sont assignés inconsciemment, par notre bavard invétéré, à recevoir des contes pour enfants. Bien vite, il se rend compte de son erreur, repousse cette insidieuse facilité pour leur proposer des récits qui supposent une réflexion étayée par le poids de l’expérience d’un adulte.

Le conteur se jette à l’eau, fort de sa volonté de distraire, émouvoir et d’interroger, comme il le fait partout ailleurs. C’est là alors qu’il se fracasse à ce qu’il prenait pour une absence totale de réaction. Là où habituellement il se voyait gratifié de réponses ou de rires, d’exclamations ou de cris de stupeur, il héritait d’une apparente apathie désarmante.

Il en rajoute dans les pitreries ou bien les expressions théâtrales. Le conte terminé, la chute tombe à plat... Le conteur est désemparé. Quel est le sens de tout cela ? Que perçoivent-ils de ses facéties ? Que comprennent-ils de ses messages ? Leur absence de communication verbale se dresse tel un obstacle entre eux. Il s’en explique avec des accompagnateurs qui tout au contraire affirment leur plaisir de voir des petites lumières s’allumer dans le regard de ce public différent.

Petit à petit, au fil des séances, le conteur décrypte des signes discrets, des manifestations imperceptibles à un public non averti : ici un pouce tendu, là une petite lueur dans l’œil ou encore une tentative discrète d'applaudissement. Pour celui-ci des grognements, pour celle-là une main qui agrippe celui qui parle pour ne plus le lâcher.

Il se passe quelque chose. Quoi au juste ? Le conteur ne peut en mesurer véritablement la nature ni même appréhender leur degré de compréhension. Est-ce simplement le fait de les considérer comme des adultes ordinaires qui justifie leur écoute ? L’ont-ils adopté dans leur univers secret ? Qu’importe ! Les uns et les autres sortent grandis de cette aventure.

Il était une fois, de bien plus loin qu’autrefois, il était un ailleurs fait d’un monde qui se voulait meilleur, il était des silences qui se passaient de mots, il était des mots qui faisaient écho. Ne cherchons pas à comprendre ce qui échappe à l’analyse. Acceptons de nous laisser prendre par le cœur.

 

La racontée sans écho.

DU VIDE À LA VIE

 

Entre le silence, les murs ternes et les odeurs fortes,

Mon cœur balançait il y a dix ans de ne battre assez

Il s’agissait de devenir homme en franchissant des portes

Me confrontant aux parcours brisés,

ma blouse blanche bien repassée.

 

Dans les chambres où parfois régnait le vide de l’existence,

J’en venais à me faire juge intolérant de scènes pénibles

Et sous mon masque bien-pensant d’ambassadeur de bientraitance,

J’ai dû faire preuve de cohérence en agissant en homme libre...

 

Alors mes yeux s’ouvrirent à ceux d’autrui,

Derrière souffrances et vies détruites

Je vis des âmes se reconstruire,

Cicatrisées par des fous rires

 

Je fus témoin d’initiatives

Et d’amitiés qui se formaient,

Honoré d’entendre l’intime

J’ai vu des rêves s’éveiller

 

Les habitudes respectées furent l’occasion de mieux connaître

Ceux qui derrière leurs vieux dossiers

demeuraient encore anonymes.

Et les détails sur le passé devinrent alors des belles fenêtres

Où il faisait bon s’accrocher car c’est ensemble qu’on survit...

 

Dix ans après, je me retrouve dans ces couloirs

Au beau milieu de mille phénix

Qui racontent leurs histoires

Je suis l’enfant, je suis l’élève, à leur service tel un disciple

Je réalise avoir appris que nul ne demeure invisible...

Et passe du vide à la vie

 

Sadou Mané

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article