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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Un monsieur qui a des idées

Un monsieur qui a des idées

Un monsieur qui a des idées

L'art du dialogue

 

J’ai eu le privilège d’assister bien plus que de participer il est vrai, à une réunion où l’un des participants tient le crachoir avec une remarquable constance, une infatigable logorrhée qui méritait d’être brossée tant ce cas ne me semble hélas pas unique. J’aurais dû me méfier et prendre mes jambes à mon cou quand d’entrée de jeu, notre ami affirma : « J’ai des idées et j’en ai même beaucoup ! ». Ce beaucoup s’avéra énormément et si bien qu'au terme des deux heures d’exposition de ses idées, j’en avais la tête farcie …

Monsieur a des idées et le fait savoir d’une voix forte, affirmée qu’il nous impose à jet continu. Il a certainement un problème de surdité pour atteindre un tel niveau sonore à moins qu’il ait pour objectif de faire taire la concurrence. Il parle et n’écoute personne, qualité essentielle pour celui qui souhaite tirer la couverture à lui.

Ses idées fusent comme à Gravelote. C’est un véritable tir de barrage qui interdit tout autre expression. C’est impressionnant, il les enfile comme des perles, l’une succédant à l’autre sans laisser le temps aux auditeurs médusés de faire une remarque ou de formuler une critique. La seule possibilité qui nous est offerte est l’exclamation devant le génie inventif du bonhomme.

Il doit parfois reprendre son souffle, c’est une nécessité vitale. Durant ce bref répit, l’un de nous essaie de prendre la parole. Il n’a pas le temps d’entamer sa suggestion que l’autre reprend son discours sans se soucier de celui à qui il cloue le bec. Il est évident qu’il se trouve merveilleusement brillant, on devine le plaisir immense qu’il a à nous gratifier de son savoir encyclopédique, de son imagination sublime.

Parfois, malgré tout, un autre doit répondre à une question, évoquer une contrainte, organiser une procédure que le grand homme a mise en place. Pendant ce temps, il use de l'aparté pour continuer à parler avec son voisin. Finalement, il se moque des conséquences de ses idées puisqu’il n’écoute jamais les remarques qui en découlent.

Le résultat inévitable de ce bourdonnement est l'imitation. Les autres font de même, découvrant qu’il leur est impossible d’être entendus, ils parlent dans le plus parfait désordre, dans un brouhaha épuisant où le grand orateur tient malgré tout le haut du volume. C’est désormais une pétaudière dans laquelle le Roi Pétaud pérore et ratiocine avec un art consommé de la vacuité et de la redondance.

Car, il n’y a pas de miracles, à déblatérer ainsi deux heures durant la sornette est inéluctable tout comme le retour sur un propos déjà tenu. Ses idées font des ricochets, reviennent en boucle, se contredisent parfois. L’essentiel est d’exister non d’apporter sa pierre à l’édifice qui, grâce à lui, ne sera qu’un château branlant. Rien de solide ne peut résister à sa furia langagière.

Au bout de l’épreuve, j’avoue ne plus savoir que penser. La commission va dans le mur, le groupe de travail fonctionnera aux seuls mouvements imposés par l’inénarrable soliste. Sans lui, rien ne se fera, en dehors de lui, tout est vain et sans intérêt. Il est l’unique, le seul capable de faire, c’est du moins ce qu’il ne cesse de sous-entendre en toute modestie. Il se chargera de tout, participera à tout, impulsera tout en bon chef d’orchestre qui se charge de jouer de tous les instruments à lui seul.

Ce monsieur qui a beaucoup d’idées a surtout une si haute idée de lui-même qui abolit l’existence des autres. Quel privilège de participer à une réunion qui se fait monologue pour le plus grand bonheur de la basse-cour. Seul le coq qui chante sur son perchoir se fait entendre. Les autres n’ont qu’à suivre ses traces, rien sans lui ne sera possible. Chapeau bas l’artiste, si je n’ai rien retenu de ce moment, j’ai au moins hérité d’un joli portrait, qui fort heureusement, n’est pas doublé d’une bande son. Je ne souhaite à personne, pareil supplice !

Silencieusement sien.

Un monsieur qui a des idées
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