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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Examinons votre plan de carrière …

La question qui tombe à plat.

J'ai eu un agréable entretien avec mon inspecteur de l' Education Nationale, suite à ma lettre de refus d'inspection. Il a parfaitement compris le message que je voulais lui faire passer par ce geste qui se voulait signal destiné à ma hiérarchie. Je ne vais pas ici dévoiler le contenu d'une conversation amicale et parfaitement agréable. Seule m'a surpris cette remarque à laquelle j'aimerais apporter ici une réponse plus générale.

J'ai choisi l'enseignement, il y a désormais bien longtemps, parce que j'aime cette relation étrange qui vous place seul devant une classe qu'il faut convaincre, séduire, maîtriser, instruire, divertir parfois, intéresser toujours et bien d'autres choses encore qui font la variété de ce métier pourtant si décrié.

Malgré les difficultés que j'évoque parfois au travers de ces billets d'humeur et d'aigreur, je maintiens cette énergie qui fait que, même si je ne parviens pas toujours à aller aussi loin que je le désirais, mes cours demeurent des moments où il se passe toujours quelque chose, où le plus grand nombre des élèves viennent avec plaisir et reconnaissent y apprendre tout en trouvant que le temps passe vite. Je pense, fort heureusement, qu'il en est de même pour beaucoup d'autres de mes collègues …

Ce qui m'exaspère au plus haut point dans notre étrange profession, c'est que les meilleurs ou supposés meilleurs d'entre nous, ceux qui se sont illustrés par leur compétence, leur professionnalisme, leur charisme sont appelés à d'autres fonctions. C'est ce fameux plan de carrière dont souhaitait discuter avec moi, monsieur l'Inspecteur.

Imaginons un monde où les meilleurs sportifs en activité deviennent, avant la fin de leur carrière, arbitres, et abandonnent ainsi le terrain. Si les rencontres y gagneraient en fluidité grâce à un jugement plus approprié, le niveau global des disciplines s'en ressentirait vraiment. C'est pourtant la démarche la plus courante dans notre curieux métier. Les meilleurs sont éloignés des classes pour se retrouver enfermés dans des bureaux loin des premiers utilisateurs de cette maison : les élèves.

Pire encore, c'est ici la seule voie qui permette une augmentation salariale, une reconnaissance statutaire. Non seulement c'est absurde mais parfaitement suicidaire ! Les compétences doivent rester sur le terrain ! On ne devrait pas proposer à un excellent enseignant de devenir inspecteur, proviseur ou bien attaché auprès d'un administrateur quelconque.

Je me suis toujours refusé à me lancer dans cette course à la carrière qui m'aurait éloigné de ce qui a fait le sens de mon engagement professionnel. Par deux fois, je me suis retrouvé en situation de tenir une responsabilité sans jamais rompre le lien avec la classe. Je répondais alors à une demande ponctuelle et m'empressais de revenir à mes chers élèves l'année suivante.

Je n'ai pas de plan de carrière, j'ai simplement des curiosités qui m'ont fait essayer bien des structures, bien des situations différentes. Je me suis retrouvé devant des publics variés, des handicaps ou des problématiques diverses. J'ai élargi ma palette, j'ai compris d'autres aspects du métier sans rentrer dans une logique carriériste. Cela me fut sans doute même reproché, illustrant ce que les gens dans leur bureau devaient qualifier d'instabilité.

Je suis riche de beaucoup plus d'expérience que ceux qui sont en charge de me diriger, me conseiller, me juger. C'est un fait incontestable et aussi la spécificité d'une corporation où vous pouvez être sous les ordres de quelqu'un qui ne sait rien de votre métier. C'est sans doute une particularité propre à notre nation car il me semble que, dans bien des pays, les responsables gardent un lien actif avec l'enseignement.

Je constate ce fait ; je n'en éprouve ni contrariété ni jalousie. Je m'étonne simplement de la persistance d'un système de promotion qui éloigne les prétendument meilleurs, du cœur de métier. Je comprends mieux les difficultés innombrables d'une institution dont toute la hiérarchie a coupé le cordon ombilical.

Puis, à la réflexion , il est envisageable de craindre que la motivation de quelques futurs promus soit précisément la volonté de fuir la classe. C'est un autre paradoxe qui peut amener des gens en situation d'échec ou de lassitude à venir donner des conseils ou des injonctions à ceux qui se coltinent encore une réalité qu'ils ont fuie. C'est dire combien le rapport qu'ils peuvent entretenir avec les pauvres soldats de première ligne est plus qu'ambigu et marqué par une absence de pertinence ou au moins d'empathie réelle.

Alors dans ce contexte, mon plan de carrière me fait doucement rire. Nulle envie de déserter le métier que j'aime en faisant semblant d'accepter une promotion dérisoire ! Ce serait trahison de mes convictions ! Mais la lassitude allant, si départ il y a, ce sera pour prendre une retraite précoce et laisser ainsi la place à une personne bien plus jeune, encore habitée par cette naïveté qui m'a fui.

Promotionnement vôtre.

Examinons votre plan de carrière …
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