Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
1 Juin 2025
Aux sources d'une admiration collective.
Si la Loire charrie du sable et des arbres déracinés, elle se plaît encore à laisser libre cours à des sornettes, des légendes et des récits au point parfois de les grimer en rumeurs. Elle confie alors à son courant vers l'aval et à son vent de Galerne vers l'amont le soin de répandre tout cela en symbiose avec ses flots. Parfois mince filet, à d'autres moments flot tumultueux, jamais à l'abri de débordements violents, les histoires peuvent encore s'égarer dans un cul de grève, une mouille ou bien encore un boire. Tout est permis tandis que les ligériens ne sont jamais à l'abri des surprises ou des déboires, des éclats de rire ou bien des drames terrifiants. Ainsi va celle qui sera toujours une rivière indomptable pour ses riverains et ses amoureux.
Plus que partout ailleurs sans doute, l'écume des eaux n'est jamais innocente. Elle est chargée de tout ce qui traînait sur les rives, de tout ce que le vent apportait de l'Océan, afin de donner corps à une mythologie propre à cette rivière qui fut le cordon ombilical de ce qui allait devenir le royaume de France, le poumon du commerce et le décor des grandes épopées et des terrifiantes invasions.
Il se peut aussi que ceci n'est non pas une illusion mais tout simplement une opportunité qu'à su saisir un individu capable de déchiffrer cette écume afin de transcrire l'essentiel de ses messages. Point n'est besoin de boule de cristal pour se faire, il suffit de prêter l'oreille à tous les bruissements qui émanent de cet écrin naturel, qui même embastillé dans les levées, les quais de ses grandes villes, les aménagements urbains, demeure indéfectiblement sauvage, définitivement libre et terriblement volage.
Qu'importe pour cette rivière qu'on la flatte avec des adjectifs prétentieux, qu'on la chante et la couvre de poèmes, qu'elle se voit distinguer par des organismes internationaux, qu'elle se couvre de festivités et de guinguettes, elle passe indifférente à tout ce tralala, n'ayant d'affection réelle que pour ceux et celles qui la chérissent sans ostentation ni formules alambiquées.
Ce qu'elle n'apprécie guère, c'est qu'on la place au-dessus de ses frères et sœurs qui viennent se confondre en elle. Ce sont ses semblables, ses autres elle-même puisqu'ils ne cessent de venir la gonfler de leurs flots dans un abandon qui ne sera jamais une conquête mais une merveilleuse offrande. Il n'est pas de hiérarchie entre eux. Fleuve et rivière, voilà bien une volonté de mettre l'un au-dessus des autres et d'accorder un masculin sans fondement à cette belle dame brune.
Pour satisfaire à sa volonté elle sera donc « Elle », un féminin singulier en toute simplicité. C'est que les ligériens, qu'ils soient hommes ou femmes ont tous pour elle les yeux de Chimène, qu'ils ne cessent jamais de l'admirer, de lui confier secrets et chagrins, de profiter de la moindre occasion pour parcourir ses rives ou pour les plus chanceux, de voguer sur ses flots. Chacun lui voue une admiration sans borne, usant de détours personnels pour la lui exprimer pleinement.
Nombreux, très nombreux sont ceux qui l'appareil photographique en main, sont en quête d'un cliché d'exception qu'ils s'empresseront de partager au jugement de tous. Les paysages, les oiseaux, les levers et couchers de soleil, les brumes du petit matin, les plantes en majesté, …, autant de regards différents et de manière de lui faire la cour.
Il y a les artistes qui la peignent, la sculptent, la chantent, la mettent en mots et en rimes, lui inventent des histoires, lui écrivent des romans, la scrutent et l'analysent tandis que certains entendent lui conférer un statut juridique et bataillent pour qu'on la respecte de cette manière. Il y a ceux qui la chevauchent, la parcourent, l'apprivoisent sur des embarcations qui cherchent à ressusciter la glorieuse marine de Loire.
Et enfin, il y a la multitude qui s'y promène, la découvre à pied ou à bicyclette, lui consacre de belles randonnées ou un long périple. Tous sont aussi ses soupirants, ses admirateurs en intégrant eux aussi l'immense cohorte des adorateurs de la belle et majestueuse dame Liger, tandis que nous ne dirons rien des gougnafiers et autres malotrus qui la souillent de leurs immondices.