Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
9 Juin 2025
Quatre matelots en matelote
Rien n'est plus approprié que de raconter une histoire de Loire à boire en vers. Je sais, la formule est facile mais l'art difficile d'autant qu'il sera question ici de Crue, non pas d'un grand cru quoique ce soit du vin de Loire, mais de crue centennale et mémorable. Prenez donc le temps de boire mes paroles...
Quatre comparses cul terreux
Se retrouvèrent loin de chez eux
Ils jetèrent leur dévolu
Sur le premier bateau venu
Ils avaient l'intention de boire
Et de passer la nuit en foire
Un jour que la Loire en colère
Menaçait de noyer nos terres
Il était une toue cabanée
Pas du tout armée pour naviguer
Où quatre poivrots en goguette
Décidèrent de faire la fête
L'inconvénient des vers est qu'ils poussent le bouchon trop loin et bien trop vite pour saisir le contexte de la scène. Attention, point de confusion, la scène ici n'a rien à voir avec un autre fleuve. Resituons donc le cadre de ce récit :
1846, une nouvelle fois après 1825 la Loire sort de son lit et envahit le Val. 1856, elle refait des siennes. Nous sommes en 1866 et les superstitieux se désolent, sentant peser sur eux une nouvelle malédiction tandis que nos quatre comparses, parfaitement inconscients du péril se lancent dans une folle bacchanale sur la rivière.
Inconscients nos joyeux ivrognes
S'en mettaient ainsi plein la trogne
Tandis que la rivière en crue
Emportait ceux qui avaient trop bu
Dans la nuit quand la digue eut cédé
La toue partit vers sa destinée
Les soiffards n'ayant plus rien à boire
Ronflaient comme des gredins en foire
Nos quatre marins en bordée
S'étaient saoulés tout'la soirée
Je dois à la vérité de restituer tout le déroulé de cette action qui conduit au drame. (Improvisation avec 4 personnes de l'assistance sur la préparation logistique de cette folle équipée) Deux dames Jeanne – La cochonnaille – Les desserts – le pain , répartition des dépenses avec un personnage beaucoup plus pingre que les autres.
C'est au petit matin dégrisés
Que nos joyeux drilles éberlués
Se trouvèrent prisonniers des flots
Éperdus au milieu de tant d'eau !
Trois jours plus tard, étaient toujours là
Bien près de connaître le trépas
Ils n'avaient plus rien à dévorer
Leur fallait manger pour subsister !
Nos quatre arsouilles d'la tambouille
Avaient l'estomac qui barbouille
Les quatrains vont bon train, trop même et vous interdisent de goûter pleinement au déroulé exact de cette situation qui progressivement va tourner au drame le plus effroyable. Au petit matin suivant la beuverie, alors que la toue cabanée avait rompu ses amarres pour se laisser porter par une Loire en furie, elle échappa par miracle au naufrage pour trouver refuge dans un vallon noyé par les flots en prenant une faille de la digue. (Description du réveil et des deux premiers jours)
Ils se regardent à la dérobée
Pour savoir qui sera avalé
Le plus petit est alors choisi
Son trépas sera moindre souci
Avant de porter le coup fatal
Ses amis qui seront cannibales
Demandent sa dernière volonté
Une sauce pour l'accommoder
Nos quatre compères en sursis
Se faisaient beaucoup de soucis
Cette fois le choix des vers de mirliton a conduit l'auteur à une facilité pour ne pas choquer l'auditoire. Il me faut restituer la vérité de la situation telle qu'elle s'est réellement déroulée sans faire silence sur les conditions de la désignation du malheureux condamné. D'une part il me faut évoquer les critères qui prévalurent à ce choix funeste et au préalable le débat qui se tint entre eux pour savoir comment trucider son prochain. Veuillez donc m'écouter en prenant bien garde d'éloigner les enfants et les âmes sensibles.
Le pauvre en un ultime désir
Dit que ce qui lui ferait plaisir
Comme dans les bonnes gargotes
D'être mitonné en matelote
Là encore, la versification pousse à l'accélération des événements. Prenons le temps par le récit en prose de narrer le débat de fond qui prévalut à cette recette typiquement ligérienne. Les uns et les autres y allant de leur proposition gastronomique pour accommoder le sacrifié tout se heurtant à des réserves des plus fondées dont je me ferai un devoir de vous les livrer par le menu.
Son vœu allait être exaucé
Quand ses trois compagnons excédés
Comprirent qu'il leur fallait du vin
Pour réaliser ce plat divin
Nos quatre chevaliers du bouchon
N'étaient que de vulgaires pochetrons
Le sacrifice ne put se faire
Car jamais sur notre rivière
Quand le vin arrive à manquer
On ne songerait à s'en passer
Si la faim peut justifier le mensonge, la soif ne permet jamais de différer ce besoin essentiel à la survie. Nos quatre lascars ne burent donc pas le calice jusqu'à la lie et sauvèrent leurs âmes, si jamais ils en furent un jour pourvu par ce sauvetage salvateur. Un scénariste sérieux se serait satisfait de cette issue heureuse pour glisser un point final à cette farce. Hélas, la modération n'est pas de mise dans ce Val de Loire où les vins ont trouvé le plus beau réceptacle qui soit. La suite sera alors d'un tout autre tonneau.
Notre matelot et ses bourreaux
Finirent par être sauvés des eaux
Des mariniers tirèrent de ce pas
Ceux qui ne firent pas ce repas
Nos quatre naufragés de la crue
Pensèrent avoir la berlue
Quand ils se retrouvèrent à terre
Jurèrent par Dieu de se taire
Mais hélas la langue les trahit
Lors d'une bordée avec des amis
Garder un secret quand on passe son temps à s'abreuver n'est jamais chose aisée surtout quand des gredins offrent à boire pour délier les langues. C'est donc ce qu'il advint à nos arsouilles tandis que leurs amis ne dépensèrent pas en vain leur sous pour les rendre bavards et saouls. La vérité éclata au grand jour ce qui justifie la fin de ce texte lamentable.
Dans le pays nul les en blâma
Si une chose ne se fait pas
Un outrage digne du Malin
C'est une matelote sans le vin
Nos quatre fêtards en perdition
Sauvèrent leur réputation
Il était une toue cabanée
Pas du tout armée pour naviguer
Quatre gaillards alcooliques
Défrayèrent la chronique
Vous savez tout et vous pouvez mesurer tous ces non-dits que l'auteur avait laissé en suspens dans ce récit. C'est par souci de réalisme et de vérité que je me suis permis d'apporter un éclairage qui provient de sources informées puisque tirées sous la cannelle d'un muids.