Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
7 Avril 2025
La langue en berne.
Après avoir perdu de vue quelque temps le monde scolaire, j'ai animé une exposition qui accueillait toutes les classes primaires d'un groupe scolaire. Le thème peut surprendre par sa simplicité apparente : « Les girouettes, petite mémoire du vent ! » mais ouvre de réelles possibilités d'exploitation pédagogique.
Petite mémoire d'une époque révolue, ces œuvres simples de l'art naïf traitent différents sujets dont le premier d'entre eux après la démocratisation de la girouette, fut les métiers. Privilège de la noblesse avant la révolution, l'appropriation de cet élément simple par le peuple fut d'abord au service de la fierté de son travail. Autre temps, autres mœurs sans doute…
Complément ou substitut de l'enseigne, perchée sur le toit, la figurine expliquait à qui voulait bien la regarder l'activité professionnelle de celui qui habitait en dessous. C'était en d'autres siècles, avec des métiers aujourd’hui disparus. L'iconographie permettant alors de donner du sens à ce qui est illustré par l'observation des détails et des indices semés par des artisans ingénieux.
Commence alors un travail de décryptage de l'image tandis que les élèves se contentent de lire l'étiquette pour nommer une profession pour laquelle il ne donne aucun sens. La première surprise réside dans l'incapacité de faire des liens entre le mot et l'image tout en cherchant à décliner le nom pour établir des correspondances.
Le charron peut éventuellement avoir une relation avec la charrette d'autant qu'une roue trône au centre de la maquette. Le maréchal ferrant qui s'active autour d'un cheval devrait éventuellement lui poser des fers, encore faudrait-il savoir ce que c'est. Que l'essarteur ne signifie rien passe encore à moins de vivre dans le lieu-dit « les essarts ! ». Mais que dire quand bien peu savent que celui qui travaille la vigne est un vigneron et pire encore que les grains de raisin sont accrochés à une grappe.
Le meunier est désormais un parfait inconnu même figuré à côté de son moulin qu'ils qualifient joyeusement de ferme ou de maison tout en confondant le blé et le grain et en n'étant pas certain de savoir comment faire de la farine. Quant au laboureur il est totalement inconnu au bataillon même s'il ne creuse pas un sillon impur avec une charrue qui ne doit figurer sur aucun rond-point de la commune.
Je peux ainsi multiplier les exemples avec les scieurs de long qui découpent des bûches et non des planches, le charcutier qui a disparu de la vente sous cellophane ou le potier qui ne joue plus aucun mauvais tour à une cruche. En dépit de la qualité des représentations, donner du sens par l'observation et les rapprochements lexicaux est particulièrement délicat comme si décliner des mots de consonances voisines échappait à leur possibilité.
Un peuple qui perd sa langue, efface son histoire, ignore tout du monde du travail puisque même le maçon se contente de fabriquer du béton alors que vaches et moutons passent la nuit dans l'écurie. Dans le même temps, à une exception près sur 5 classes, quelqu'un qui a trop bu est bourré et non pas ivre ou saoul.
J'ajoute encore que le petit ruisseau qui passe à deux pas de là est inconnu de tous alors que des villages voisins portent son nom tandis que la Loire coule vers la Méditerranée. Fort de toutes ces observations, je peux vous confirmer que le niveau monte et qu'il n'y a nulle inquiétude à se faire pour des générations futures qui naturellement sont tout à fait capables de rester concentrer quelques secondes.
Fort heureusement, ils iront dans des écoles de commerce apprendre les termes anglophones pour vendre du vent et des services dans une nation où plus personne ne travaille de ses mains, ni même de sa tête du reste !