La mouche du coche…

Mais qu'est-ce qui les pique ?

Tout commença sur un coche d'eau qui transportait outre des voyageurs, quelques tonneaux d'un excellent vinaigre d'Orléans. Le capitaine était un personnage d'humeur incertaine, aussi prompt à la colère spectaculaire qu'à un mutisme mystérieux. On aurait pu le prétendre versatile même si un tel terme sur un bateau n'est guère approprié…

Justement, ce jour-là, au passage d'un pont délicat, l'homme avait pris la mouche au cours d'une colère dont il avait le secret. Sur l'embarcation, matelots et passagers se tinrent subitement à carreau, on n'entendait pas une mouche voler. Notre homme vociférant après un meunier dont le moulin à nef avait bien failli provoquer une collision.

L'échange de propos peu amènes entre le marinier et le minotier tournait au vinaigre, ce qui en cette cité semblait être une marque de fabrique, le second s'était permis de qualifier le joli coche d'eau du premier de bateau-mouche, expression qui fera florès sur la Seine et qui en la circonstance fit mouche auprès de celui qui naviguait pour la société Martin-Pouret.

En dépit de sa propension à monter dans les tours par la parole, le meunier était de ses êtres forts en gueule qui n'aurait pourtant pas fait de mal à une mouche. Mal lui avait pris d'invectiver un capitaine chaud du bonnet et capable de jouer les gros bras puisqu'il avait le coup de poing facile. L'algarade était inévitable d'autant que le coche d'eau aborda le moulin à nef.

Les deux protagonistes firent des moulinets de leurs bras aux poings fermés tout en poursuivant un échange peu amène. Tous deux étaient de petite taille et de morphologie frêle. Un passager, amusé par le spectacle prétendit alors que c'était le combat d'un poids mouche contre un poids coq. Sa réplique de fine mouche piqua le marinier qui avait tout l'air d'un coq de combat.

Saisissant le propos au bond, celui qui avait la gueule enfarinée déclara tout de go : « Quand on se sent morveux, on se mouche ! ». Loin d'apaiser les choses, la remarque mit le feu aux poudres. Le coq, pris d'un accès de rage, frappa à la face le poudré. Les coups pleuvaient comme à Gravelotte au moins et emportés par les assauts désordonnés, les passagers tombaient comme des mouches dans la Loire.

La rixe tournait au drame d'autant que dans le lot, certains ne savaient pas nager. Un pêcheur à la mouche se mit en devoir de sauver ceux qui buvaient la tasse, tandis qu'un passager vida des tonneaux de vinaigre dans la rivière pour les y jeter en guise de bouée de sauvetage. Un des matelots crut faire un trait d'humour en lui disant : « on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre » ; propos maladroit s'il en fut !

Sur le quai, la foule des curieux se réjouissait d'un spectacle qui prenait des allures de farce. Les uns hurlaient à qui mieux mieux tandis que d'autres, médusés par la tournure de l'incident gobaient les mouches, bouche bée. Cependant il fallait se ressaisir pour se porter au secours des malheureux, ce qui ne tarda pas à se faire tant chacun a ici conscience de la dangerosité du courant en cet endroit.

À deux pas de là, le correspondant du journal local qui se trouvait là par ailleurs, au lieu de faire son devoir de citoyen se mit en demeure de rédiger sur un calepin le récit auquel il assistait. Il écrivait fort mal et un gamin curieux ayant regardé par-dessus son épaule, se moqua de ses pattes de mouche tandis qu'une vieille femme, scandalisée par l'attitude de ce personnage répondit à l'enfant qu'il écrivait sur un papier tue-mouche.

Depuis en Orléans, quand un conflit prend de telles proportions, on n'hésite pas à prétendre que l'affaire tourne au vinaigre, tandis que les mouches du coche se font un malin plaisir à jeter de l'huile sur le feu. Tout cela finit par produire une jolie vinaigrette, histoire d'en faire des salades.