Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
9 Décembre 2024
Il eut mérité une embouchure.
Il advint qu'à Saint Florent, village que l'on qualifia jadis de Jeune pour le distinguer de ses homologues, naquit un ru qui se fit ruisseau, à moins qu'il se contentât d'être exutoire des nombreux étangs qu'il traversa en l’engendrant pareillement. Il avait de quoi se montrer fier à la fois de son destin, lui qui naissait en cette terre à la lisière de la Sologne et du Berry pour aller s'offrir à la gourmandise de la Loire.
Hélas, il connut comme nombre de ses collègues le triste destin de disparaître sous terre dans son village natal, engeôlé dans des buses pour le dissimuler aux regards de ses voisins. Est-ce par la faute de son patronyme qu'on le jugea mal embouché au point de l'enfouir sous terre ? Je donnerai volontiers ma langue au chat pour tirer cette affaire au clair.
Toujours est-il qu'il se libéra de ses maudites gaines de béton, pour batifoler tout à son aise dans un lit certes étroit mais coulant au milieu d'une forêt prompte à cacher ses dérives et ses fantaisies. Il en profita ainsi pour honorer quelques étangs qui jouirent ainsi de son flot nourricier. Il pouvait suivre son destin pour courir vers le nord afin de séduire la belle dame Liger.
C'est en engendrant l'étang de la Beuvrière qu'il fut traîtreusement débaptisé. Il allait faire tourner les roues d'un moulin et pour éviter de tourner l'esprit de la belle meunière, il se nomma alors, « La Ronce », une épine qu'on lui glissait dans son cours. Qu'avait-il fait de mal si ce n'est porter un nom qu'on entendait cacher au plus grand nombre.
C'est donc sous un nom d'emprunt qu'il s'offrit à un autre ruisseau au nom évocateur de ses origines celtes à deux pas de la Pierre Crapaud de Saint Miral. Se perdant dans la Quiaulne, il pouvait ainsi retrouver sa virginité et laver le déshonneur d'un nom dont il n'avait pourtant pas à rougir. Mais puisque le gaulois est devenu langue morte, on lui cacha le sens de ce mot afin qu'il n'en sût jamais rien.
C'est donc sous un nom d'emprunt, une sorte de pseudonyme en somme qui lave l'affront de son baptême en se donnant corps et âme dans la Loire en une simple confluence lui dont le nom eut mérité pour le moins une grande et belle embouchure. Mais il en va ainsi de nos cours d'eau qui en ce pays, changent parfois de vocable au gré des fantaisies des humains.
Le Leu un peu plus loin connut pareil sort puis l'espace de quelques kilomètres, il devient la Bergeresse avant de se faire Dhuy et de baisser pavillon devant le Loiret une résurgence qui l'accapara en dépit de son antériorité. Le Leu lui aussi était porteur de celtitude, honorant ici le Dieu Lug qui fut jadis le maître de ces rives.
Mais revenant à notre petit ruisseau qui perdit bien vite la face par la faute d'un nom sujet à de fâcheuses interprétations. Qu'il était pourtant mignon au point qu'il eut pu être mis entre toutes les bouches sans qu'il y ait eu à rougir. Mais des esprits chagrins pensèrent sans doute qu'il eut mérité de couler dans le Rhône ou pourquoi pas dans les Bouches du Rhône.
Je me dois de le rétablir dans son honneur et c'est la tête haute que j'entends l'honorer ici. Ce charmant ruisseau mérite que vous lui rendiez une petite visite, que vous jouissiez de son charme incomparable sans jamais vous fourvoyer sur les interprétations que certains esprits mal intentionnés attribuent à son joli nom de baptême.
C'est à bout d'arguties pour différer la vérité que je me vois contraint enfin de vous dévoiler comment il se nomme. J'aimerais que vous ne vous en gaussiez point. La Turlurette est ce merveilleux ruisseau de Saint Florent, j'ai gardé cet aveu pour la bonne bouche.