Le sondage permanent.
« Chassez le naturel, il revient au Galope ! »
La prochaine période sera propice à la prolifération de questionnements multiples, d'interrogations essentielles et de photographies forcément instantanées. Ils appellent
cela : « Sondage d'opinion », une pratique introspective de masse beaucoup plus facile à obtenir qu'une coloscopie. Il faut avouer que la sécurité sociale semble plus soucieuse des
dépenses publiques que certaines cellules secrètes de l'Élysée.
Nous sommes sondés pour un Oui et plus rarement pour un Non. On nous demande de dévoiler à des inconnus ce qu'on nous honore de bien vouloir qualifier d'opinion. Néanmoins la
question vaut plus que la réponse. Le questionneur a plus à y gagner que le sondé. Et il convient de satisfaire à l'attente implicite du questionneur qui se fait un malin plaisir à percevoir
une tendance dans un flot de convergences improbables.
On se moque des mots et du peuple, ce souverain qu'on ne méprise jamais autant que lorsqu'on feint de s'intéresser à ce qu'il pense ! Nos fins statisticiens, après bien des
études supérieures et nécessairement scientifiques, maîtrisent les nombres avec un tel degré d'expertise qu'ils les appellent chiffres, pour leur faire dire ce qu'on attend d'eux.
Il serait bon de signaler à ces doctes représentants de nos élites intellectuelles qu'une opinion qui se respecte, se fonde sur des connaissances précises. Elles se sont
construites grâce à une étude sérieuse du sujet, l'écoute de spécialistes ayant des points de vues contradictoires. L'opinion a besoin de fondations solides et d'un débat d'idées.
Évidemment, c'est exactement le contraire qu'on nous impose. Une question surprend un quidam qui se voit dans l'instant propulsé dans la formidable famille de l'échantillon
représentatif. Flatté par cette distinction qui lui confère immédiatement une autorité incontestable, notre individu lambda répond à brûle-pourpoint à n'importe quoi et son contraire.
De ces réponses alambiquées, l'éminent représentant de la caste mathématique donne à comprendre les grandes tendances de ce serpent amer qu'on nous présente sous le vocable
réducteur d'opinion publique, lointaine cousine de la salubrité et du salut. Fort de ces données sans fondement, passées à la moulinette des variables de correction, notre spécialiste en expertise
sociale nous explique enfin ce que nous pensons !
Les gouvernants, en mal d'ancrage réel dans le pays, utilisent ces outils pour comprendre ce pouls de la nation, eux qui n'ont plus jamais plus l'occasion de le prendre. Ils se
vantent alors de répondre à nos attentes, de devancer nos craintes, d'anticiper nos inquiétudes. Merci à eux, nous leur en sommes particulièrement reconnaissants.
Il y a peu, par opportunisme ou par stratégie, une candidate malheureuse au poste suprême, avait évoqué la démocratie participative et des comités de citoyens pour participer à
l'élaboration des lois. De simples gens que l'on formerait sur un dossier particulier afin de construire des propositions en dehors de la dictature des hauts-fonctionnaires.
L'idée a fait un flop tout comme cette dame. Son vainqueur se gausse de mesurer avec une gourmandise étonnante l'opinion de ses « loyaux sujets ». Une multitude de
sondages éclaire notre bon monarque et fonde ses réactions que l'on croit à tort intempestives.
Il serait grand temps que s'élève dans ce pays un mouvement de masse pour refuser à tout jamais de répondre aux questions creuses de ces questionneurs nuisibles. Nous avons
une bien trop haute opinion de la politique pour la comparer à la lessive ou aux couches-culottes. Les sondages et leurs commanditaires ne font rien mieux que d'entretenir cette confusion qui les
sert si bien.
Sansopinionnement vôtre.