Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
19 Avril 2011
La station d'autoroute.
Il est une micro-société que j'évite le plus possible de fréquenter tant ce que j'y vois m'exaspère, m'horrifie ou m'interroge sur l'état de notre société et de ses membres. La station à essence de nos autoroutes est un lieu consumériste où les prix ne font même plus semblant de jouer l'apparence de la raison, où les hommes sont abandonnés à leur folie nomade à côté de quelques galériens des transports internationaux.
C'est d'abord vers eux que vont mes récriminations incessantes. Comment peut-on traiter de la sorte des êtres humains, moins bien lotis si ça se trouve que les richesses matérielles qu'ils transportent dans leurs engins bloqués en ces lieux pour de longues heures réglementaires ? Ils n'ont, pour unique paysage, que cet espace morose coincé entre grillage, parking et ruban d'asphalte.
Ça sent l'essence, la frite et la sueur, le temps s'y écoule pour eux dans l'indifférence méprisante des agités du porte-monnaie et de la carte bleue. Eux, n'ont rien ou presque pour attendre de longues heures entre cabine surchauffée ou glacée et toilettes au carrelage blanc. Ils sont nos esclaves, les chevaliers de la mondialisation, le sous-prolétariat de la grande migration des marchandises.
Il y a le petit personnel de cet îlot au milieu de nulle part. Habillé de l'uniforme réglementaire, il est au service de la pire des clientèles : les gens pressés en vacances. Il leur faut accepter remarques et reproches, coups de gueule et regards méprisants. Il habite loin de là, vient servir des gens qu'il ne reverra sans doute jamais et qui usent à l'extrême de cette impersonnalité pour atteindre à l'odieux !
Il y a mes pareils, descendus enfin de leurs vaisseaux inconfortables. Ils ont soif, ils ont faim, la vessie au bord de l'explosion, les nerfs en pelote, la patience aux abonnés absents. Ils veulent se dégourdir, se soulager, repartir au plus vite. Ils font la queue avec l'idée de gagner une place ou deux, réclame un service immédiat , une place de parking la plus proche possible. Ils sont les rois en toute chose et entendent bien qu'on les considère ainsi !
Il y a ce lieu étrange, ce condensé de nos délires commerciaux. L'incontournable espace concédé à la bouffe ; il n'est pas possible d'utiliser un autre vocable. Le sandwich nous met en garde : son triangle indique qu'il y a un risque à le fréquenter. Les plats proposés s'offrent à toutes heures du jour ou de la nuit à une voracité sans saveur. Le pire de notre alimentation insipide se concentre en ces lieux.
Il y a le coin chaud, la célébration du lyophilisé, de l'incertain, du tout venant de la médiocrité gustative. Le choix tient lieu de loterie foraine et à tous les coups on perd, ce qui tombe dans le gobelet est un infâme brouet avalé sans plaisir. Puis, il y a la boutique d'Ali Baba. Une collection de produits pour ne pas arriver les mains vides, des gadgets pour vous vider les poches.
Il y a le coin culture, du moins la conception débilitante qu'on nous propose ici. Le livre est une enveloppe vide, un objet de consommation fictive, un achat de pure forme pour un document qui ne sera jamais parcouru. Les parents achètent un illusoire moment de calme, les naufragés quelques images érotiques pour meubler leur solitude.
Il y a surtout le petit coin. Ce réceptacle de tous nos débordements. La queue y est principe inévitable pour les dames, comme si les concepteurs de ces lieux étaient tous des porteurs de braguettes. La dame qui passe derrière nous évolue dans une indifférence insupportable et pourtant elle parvient à laisser cet endroit suffisamment fréquentable pour le préférer à ces homologues abandonnés des aires ordinaires.
Stationnement vôtre.