J'ai même déclenché une nouvelle guerre des religions en déclarant qu'il existait des valeurs fondamentales intangibles pour prétendre partager un espace commun. On me rétorque
que chacun fait ce qui lui plaît et que tant que ce n'est pas devant sa porte, point besoin de s'occuper de ce que font les autres.
Cette merveilleuse tolérance qui se confond dans l'indifférence, est la grande tendance de nos sociétés occidentales. « Tant qu'on me fiche la paix, et à la condition de ne
point être sollicité par des impôts pour participer à un effort de solidarité nationale, tout va bien. »
La tolérance ne peut se résumer à laisser tout faire au nom d'une hypertrophie du principe de Liberté. La prise en compte de l'autre, dans toutes les acceptions de ce
terme, est indispensable. Qu'elle s'appelle tour à tour : éducation, respect, politesse, savoir-vivre, solidarité, générosité, compassion ou tout autre appellation qui donne une vraie existence à
celui ou celle qui croise votre chemin, cette exigence nous permet de sortir de cette terrible transparence qui semble gagner tant de personnes.
Un pauvre qui tend la main dans la rue : transparent. Des jeunes gens totalement ivres cuvant sur un trottoir : translucides. Des enfants qui se battent dans la rue, par jeu ou
un peu plus : invisibles. Une vieille dame agressée ou molestée dans un autobus: effacée. Un individu pressé qui gare son gros 4x4 sur le trottoir : inexistant. Une tenue qui choque quelques
consciences : gommée.
Chacun fait ce qui lui plaît ou subit le pire sans que ces merveilleux tenants de la tolérance réagissent. « Les autres, je ne m'en occupe pas, qu'on me laisse
tranquille, c'est l'essentiel ! » Alors oui, dans ces conditions, je reconnais que notre société occidentale n'a ni conseil, ni remarque, ni modèle à fournir. Pourtant, enfant, bien naïvement,
j'ai donné vie à trois mots gravés au fronton de mon école primaire « Liberté- Égalité- Fraternité ».
En ce temps-là, pas un adulte ne m'aurait laissé manquer de respect à un quidam dans la rue sans réagir. Pas une personne ne serait passée près de quelqu'un en panne sans lui
proposer de l'aide. Pas un enfant n'aurait fréquenté une classe sans disposer du matériel nécessaire. ...
Tous les échelons de notre société faisaient preuve d'altérité, cette merveilleuse qualité qui s'est perdue dans les arcanes de cette société de la communication, de la vitesse
et de l'argent. Il faut fermer les yeux sur tout ce qui se trame autour de soi. Seul le drame gigantesque, collectif et télévisé doit émouvoir.
Pas de sensiblerie ni de réactions spontanées en dehors de ce cadre parfaitement maîtrisé. Pas d'initiatives citoyennes, pas de gestes collectifs en dehors de la
loi et des institutions. On devine bien ce que les actions du Réseau Éducation sans Frontière ou celles des Enfants de Donquichotte ont de déstabilisant pour nos gouvernants.
Nous déléguons toutes les éléments du lien social. La sécurité pour la seule police, le secours pour les pompiers, la charité pour les organismes dédiés, l'éducation pour les
écoles mais plus au-delà la grille, le nettoyage pour le petit personnel, le respect des règles pour les autres. La régulation pour les seuls régulateurs, médiateurs,
« intercédeurs », état sœur … !
Dans ce marasme, seul l'égoïsme et l'absence de conscience peuvent s'épanouir. Ne vous aventurez pas à émettre un point de vue moral, vous seriez voué à toutes les gémonies
imaginables.