L'amère victoire.
Publiée sur Midi Olympique

Et de trois. La malédiction Liévremont est levée et la victoire est belle en cette nouvelle journée de disette olympique. L'esprit cocardier peut se réjouir et envisager encore
ce « Grand Chelem » qui effacera toutes les désillusions du moment.
Nous sommes prompts à l'enthousiasme béat. Le succès importe plus que le plaisir pris à la performance. Tous les coups sont permis pour atteindre la victoire, ce Graal moderne
qui finalement a troqué le vase sacré pour la coupe aux grandes oreilles !
À Cardiff, l'équipe de France de Rugby a réussi l'essentiel, la troisième levée victorieuse. Le spectacle fut insipide du côté des Français devenus des marchands de commerce de
ce sport. La gestion est devenue la clef de voute de la pratique et du vocabulaire sportif. Nos petits bleus ont posé les barbelés, envoyé le char d'assaut et usé de l'artillerie.
Qu'est devenu ce sport épique, ce jeu chatoyant fait de folie, de courses insensées, de relances du bout du monde. Le Rugby champagne a traversé le Channel, il est devenu le
Rugby Guiness. Les petits hommes en rouge, après une mi-temps de léthargie ont mis le romantisme de leur côté.
Passes multiples, courses agressives, évitements sublimes, ils ont réveillé un stade endormi par les innombrables chandelles Françaises. Les petits lutins trouvaient alors des
espaces là où les mastodontes bleus se cognaient sans surprise. Leur jeu au pied rasant était mille fois moins barbant que le coup de pied au ciel que nous ont servi nos canonniers sans âme.
Le bruit court qu'un pari était en jeu chez nos toujours facétieux porteurs du coq. Le premier qui touchait le toit du « Millenum Stadium » remportait la mise …. Ils
ont échoué et ont provoqué plus de bâillements que d'applaudissements. Quelques spectateurs au stade en furent quitte pour un joli torticolis, le rugby est devenu aussi déconseillé aux cervicales
fragiles que le tennis !
Bien sûr, il y a eu une formidable prestation du paquet, une épreuve de force qui tourna largement à l'avantage de ce cinq de devant de fer. Il y a eu une domination en touche
qui réjouit le spécialiste et atteste du travail accompli à Marcoussis. Le travail de l'ombre de l'ami Didier Rétière porte ses fruits.
Mais que sont devenues les cavalcades empanachées de nos arrières. Ils ont marqué deux essais à zéro passe. Ils n'ont que trop rarement franchi le rideau adverse et quand ils
l'ont fait, c'était en puissance autour de nos poutres centrales. Nous ne retrouvons pas la patte de la panthère noire. Émile N'Tamack doit s'ennuyer ferme sur la touche.
Aucune combinaison, pas de ces bifurcations énigmatiques qui trompent le défenseur et enthousiasment l'aficionado. Nous avançons sur des rails, nous poursuivons les ballons
aériens avec un taux d'échec dans la récupération qui infirme l'obstination de cette pénible stratégie.
Je déplore ce jeu de sape qui n'est pas de nature à emporter à la coupe du Monde. La terrible déculottée de Marseille reste encore en mémoire. Ce jour-là, une équipe faisait
chanter le cuir et réveillait les spectateurs. C'est ce Rugby de mouvement et de bataille, d'affrontement et d'évitement, de culot et de courage que j'aime.
Trois victoires et deux matches d'un ennui douloureux. Le bonheur des yeux n'est plus sur ce pré. Il est heureux que la victoire suffise au bonheur de beaucoup, mais hélas pas au
mien !
Amèrement vôtre.