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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Questions de justice pour justiciables par ordinaires.

Segpa ... juste

Le retour du bâtonnier.

Justice-marteau

 

Le programme a quelquefois des clins d'yeux qui ne manquent pas de sel. Ma chère classe est invitée ce matin à participer à l'animation : questions de justice. Une éducatrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse est face à ce qui reste du groupe. Étrange coïncidence, ce soir-même, trois de leurs camarades passeront en conseil de discipline pour l'ensemble de leurs œuvres.

 

Dix panneaux sont installés en demi -cercle face à eux. L'animatrice leur demande de se lever pour aller les lire. Le tour de ronde ne durera pas plus d'une minute. Je découvre, amusé, qu'ils sont tous des champions de la lecture rapide. En fait, ils sont incapables de prendre des informations dans leur environnement. Tout doit passer par l'oral qui n'est d'ailleurs pas plus efficace.

 

Ils retrouvent leur place et le débat s'engage. Le premier sujet évoqué les touche directement. Il est question de prison, de Centre Éducatif Fermé, de foyer. Ils participent, ont des expériences à évoquer. Bien vite,ils font mention de leur épisode récent en garde à vue. Racontée à leur manière, cette aventure devient épique dans leur bouche. L'animatrice est jeune, leur vocabulaire s'en ressent.

 

Ils reconnaissent que l'expérience a été rude ; l'un avoue avoir été choqué, une autre jure de ne jamais recommencer. Le troisième ne dit rien et les autres sont absents. La leçon n'est pas forcément intégrée par tous. Les autres, en effet, ceux qui ne furent que témoins dans cette histoire, sont éternellement silencieux. Que comprennent-ils ? Comment vivent-ils dans ce groupe ?

 

Après les avoir laissé vider leur sac à misère, l'animatrice tente de reprendre la main, difficilement toutefois car ils reviennent inlassablement à leur cas si particulier. Je constate que le choc a été salutaire pour les trois rescapés de la garde à vue. L'animation se poursuit ; la jeune femme est habile, elle retrouve son fil conducteur. Sans élever la voix, sans imposer de contrainte, elle obtient la participation de presque tous. Un seul reste à l'écart, avec ses tics et ses angoisses. Il n'écoute qu'à distance ; il va mal.

 

Ils écoutent, prennent la parole sans lever la main mais ne s'interrompent pas trop les uns les autres, s'efforçant même de laisser se terminer l'intervention de leur camarade. Pas de cahier devant eux, pas de table. Voilà sans doute la structure qu'il faudrait en classe pour nous faire retrouver un peu de sérénité. Au fur et à mesure que les questions progressent, je constate à quel point ils sont sensibles à l'idée de réparation, d'amende et de peine.

 

Évidement, le cas de M... revient sur le tapis. Une jeune fille particulièrement virulente, le replace sous l'angle financier. Elle pense désormais que son pauvre camarade a porté plainte uniquement pour recevoir de l'argent au titre des dommages et intérêts. Nulle place pour l'empathie même si elle a exprimé du repentir.

 

Deux autres, ont d'ailleurs écrit une lettre d'excuse à leur camarade sans vouloir lui donner une forme qui aurait marqué un peu de respect envers celui-ci malgré ma proposition de les aider à l'améliorer . Des simples mots jetés sur un papier quadrillé, même pas corrigés. … Les limites de la compassion sans doute.

 

Voici à présent que sont évoqués le travail des enfants, leur exploitation sexuelle ou militaire, la peine de mort pour les mineurs . Le cortège des atrocités de cette planète leur est exposé sans détour. C'est pourtant l'occasion que saisit un garçon pour revenir sur ce qui lui est arrivé. Il a bien du mal à se décentrer, à prendre en compte la réalité du Monde. Ses perspectives se limitent à sa petite personne ; il est à ce titre l'archétype de cette société.

 

Au bout de trente minutes, deux jeune filles ont repris leur conversation interrompue avec la fin des cours de la veille. C'est un éternel bourdonnement qui se propage de cours en cours, incapables qu'elles sont d'écouter l'adulte plus de quelques minutes, submergées avant tout par leurs petits problèmes personnels. Elles parlent, parlent à se saouler de mots, à se griser de leurs petite personne, se focalisent sur des problèmes qui les enferment dans un univers étroit, réducteur, sordide.

 

L'exemple a fait tache d'huile ; la séance devient plus bruyante et surtout plus dispersée. Les apartés se multiplient, les groupes interviennent à tour de rôle en interrompant alors leurs conversations personnelles. Les prises de paroles deviennent moins pertinentes, le hors-sujet est fréquent, l'exagération la règle, le vocabulaire, celui de la rue …

 

L'animatrice élève la voix, réclame l'écoute, doit interpeler les gêneurs. Quarante-cinq minutes d'attention, c'est tout ce dont ils sont capables. Maintenant, c'est un défilé de propos excessifs, de situations fantasmées, de faits absurdes qui circulent sur la toile. C'est la foire au truisme et au grand n'importe quoi. L'animatrice se tait et attend patiemment la fin de cette vague délirante ...

 

Cette fois c'en est trop ! Il me faut intervenir. C'est efficace quelques minutes. Je ne peux attendre de miracle , obligé que je suis d'économiser mes cartes ; avec eux, les jokers en possession des adultes sont peu nombreux. La séance reprend. Ils font des efforts manifestement, mais leur capacité de concentration est entamée. Une heure, c'est un maximum pour eux et pourtant le programme prévoit trente minutes de plus.

 

Nous passons à l'animation proprement dite. Les élèves choisissent une question de justice et l'un d'entre eux joue le rôle du procureur. Ce changement permet un nouveau départ. La génération zapping a besoin de diversité. Nous sommes désormais des enseignants de maternelle ; il faut varier les activités le plus souvent possible pour capter l'attention d'élèves, devenus spectateurs occasionnels.

 

L'attention est revenue dans les limites habituelles de cette classe. On ne s'écoute que trop rarement et il faut toujours répéter au moins une fois l'information qui vient d'être transmise et encore, tout le monde ne la reçoit pas . C'est une donnée incontournable avec ce groupe : la répétition n'est pas une garantie de succès. Certains échappent systématiquement au message transmis. Quels travailleurs seront-ils face à une consigne énoncée par un chef d'équipe ou un patron ? Ils se sont construits dans cette dispersion irréfrénable. Je les plains sincèrement.

 

Parmi les questions qui suscitent de nombreuses réactions, celle de la drogue vient en tête. Ils sont sensibles à l'injustice qu'entraîne une répression parfaitement ciblée, ils le savent, le constatent et ne l'admettent pas. Une loi est pour tous ou n'a aucune légitimité. On voit ici les limites d'un système où même les personnes chargées d'appliquer la règle (ou de la définir), ne sont pas exemplaires. Je sais la vacuité d'une telle remarque dans une société où chacun cherche à obtenir un passe-droit, un avantage quelconque, un petit privilège. Le principe d'égalité est depuis longtemps, une utopie.

 

Finalement, au terme de ces questions de justice qui se sont relativement bien passées, il faudra leur expliquer les limites de notre système et le célèbre proverbe: « Selon que vous serez puissant ou misérable ! ».

 

A l'animatrice déçue de n'avoir pas été écoutée, je fais remarquer que, tout au contraire, elle vient de vivre une séance exceptionnelle malgré tous les bavardages incessants qui sont consubstantiels à ce groupe. On ne peut attendre plus d'eux; ils se sont construits dans cette incapacité à assumer leur métier d'élève. Je doute qu'ils assument ensuite leur métier de citoyen travailleur. Mais ceci sera une autre histoire …

 

Justiciablement vôtre.

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