Curieusement, notre vocabulaire se plaît à décliner à l'envi cette caractéristique de l'honnête homme, ce talent social de la civilité alors que dans le même temps, dans nos
cités, sur nos routes, dans les entreprises, ce noble sentiment est presque perçu pour un anachronisme improductif.
La courtoisie, puisque c'est d'elle qu'il est question a su sortir des effets de cour, des aménités et des courbettes pour s'étendre à toute une population d'une société où
chacun avait sa part de considération. Je vous parle d'un temps où l'individu ne se déterminait pas au montant de son compte en banque ni à sa capacité de tromper le fisc tout en démontrant
un train de vie stupéfiant et extravagant …
Contrairement à l'interprétation abusive des admirateurs du mari de la chanteuse, courtoisie n'a pas pour étymologie les mots assemblés : « court et toise ».
Cette capacité de considérer son semblable à l'aune d'une taille de référence qui coïnciderait à celle du chef muni de talonnettes. Cette approximation lexicale n'expliquerait pas le mépris dont
usent à loisir ceux qui se sont élevés dans notre société par la seule vertu de l'argent et qui toisent avec condescendance ceux qui n'ont pas le même train de vie.
La courtoisie est une politesse raffinée qui place l'autre à l'égal de sa propre personne. Il n'y a pas besoin de connaître son
semblable pour lui offrir cette considération qui ne tient compte ni de la fortune ni de la réputation ni de l'origine.
Les insultes à l'affabilité sont nombreuses et le lieu de l'expression sublime de tous ses contraires est paradoxalement la route. Cette qualité issue de la chevalerie n'a sans
doute pas supporté le passage au cheval vapeur. La voiture passe pour le réceptacle idéal de la grossièreté, la goujaterie, l'égoïsme rustre. Combien d'automobiles garées en double file dans le
mépris des autres, pour l'achat de cet indispensable paquet de cigarettes qui ne saurait attendre ? Combien de gros véhicules rutilants aux proportions aussi démesurées que le prix, garés sur des
trottoirs sans considération pour la poussette qui ne pourra passer ? …
Le marché est une autre mine à la grise mine. La multiplication des files d'attente permet à certains virtuoses de l'irrévérence de
multiplier les occasions de discourtoisie. Des retraitées forcément pressées d'en finir, qui doublent, interrompent une commande pour demander sur le champ un prix pourtant ardoisé ou retrouvent
leurs jambes pour sauter un client. Des gens importants qui s'exaspèrent de cette insupportable promiscuité et qui traversent du regard ce petit peuple goguenard.
D'une manière quasiment systématique, la queue est le mal absolu. Juste retour des choses diront les tenants de l'à peu-près. Triste incivilité de la bande, de la foule qui
attend et doit en supporter d'autres qui entravent ce droit inaliénable à la ruse. On bouscule, on se marche sur les pieds ou les spatules, on rejoint un éclaireur opportun, on bloque un groupe
rival pour favoriser les siens, on ne se regarde pas, on se parle pas, on triche !
L'art de bien vivre ensemble, cette amabilité générale, cette convenance des bonnes manières, cette aménité bienveillante peut tout à loisir multiplier ses synonymes, elle se
cogne désespérément à l'immense variété des grossièretés sociales, des impertinences comportementales que notre vocabulaire moderne a su synthétiser sous le vocable explicite de 'Connerie
!'
Ne désespérons pas de l'humanité, des gens se lèvent de ci de là sur la toile pour élever le débat et refuser toutes nos bassesses, pour
relever cette toise et sourire à tous leurs semblables. La Fraternité est inscrite sur les frontons de nos institutions, il est grand temps de lui redonner ses lettres chevaleresques.