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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Mœurs Marines

 

Voyage sur le Biniou II.


Le Sein des seings !


 


 

Une multitude se presse sur l'embarcadère. L'île de Sein, cette merveille en danger de mort par la folie des hommes et d'un système incapable de modifier sa folle course à la croissance des eaux, attend l'une de ses quatre livraisons quotidiennes …

 


 

Les passagers en devenir commémorent la lointaine industrie sardinière. Ils se tassent, se bousculent, se doublent pour gagner un rang et profiter de la meilleure place. Cette première promiscuité nous prépare aux futures affres de la vie îlienne !

 


 

Chiens, grands-mères, landaus, bébés viennent ajouter au désordre d'un pont encombré de touristes en majesté. Heureusement, la mer est d'huile, nous ne risquons pas l'infâme vinaigrette de nos biles amères.

 


 

Néanmoins, l'angoisse des chagrins gastriques monte dans les rangs des candidats à l'expectoration biliaire. La « Cocculine » préserve les plus précautionneux, les angoissés de la dernière heure regrettent bien trop tard leur habituelle insouciance. Le vague à l'âme qui les saisit alors se traduit par un blanchissement immédiat d'un halage estival chèrement acquis.

 


 

Le moteur déclenche la mouvance permanente de la foule transportée. Un homme se lève sans quitter sa place ; prendre de la hauteur pour mieux voir est un réflexe ancestral. D'autres se précipitent sur le pont pour prendre le frais ou la vague. Certains se déplacent tout simplement d'un lieu à l'autre comme tant d'autres dans les trains …

 


 

 

Les bielles claquent, le bruit assourdit les voyageurs, le spectacle les éblouit. Les appareils photographiques sortent de toutes les poches pour immortaliser la traversée mémorable. Madame pose devant l'échelle métallique, monsieur gonfle son torse sur le gaillard avant, la famille se serre et confie ses sourires maritimes à un inconnu bienveillant.

 


 

La révolution du numérique transforme tous ces gens en Princes du cliché. Les flashs crépitent pour illuminer la pointe du Raz située bien trop loin pour mériter pareil honneur. Le hublot embué ne perturbe pas les photographes en algues, le bouton pressoir ne compte plus les prises de vue incertaines.

 


 

Le petit vent du large nous ramène les premiers visiteurs du pont. Ils sont remplacés immédiatement par d'autres qui reviendront à leur tour quand le froid aura eu raison de leur curiosité. Ce renouvellement incessant des migrateurs du Biniou provoque bien des désagréments entre les bancs de bois bien étroits. 

 


 

Des téléphones cellulaires sortent de leur réserve pour annoncer à la Terre entière la grande nouvelle : «  Tu ne devineras jamais ! Je suis face à la pointe du Raz ! ». Les miracles de la technologie permettent d'ajouter l'image floue au brouhaha ambiant. Quelques goélands enregistrent des rires moqueurs à cette communication parodique.

 


 

La comédie humaine a déterminé une hiérarchie de fait sur le pont avant. Les timides, les moins glorieux, se contentent des travées latérales. Les plus jeunes s'agrippent sur la rambarde. Au milieu de cet espace mouvant, un homme trône en majesté. Il mène au geste son petit groupe d'amis, tient les jumelles et le haut de la parole. Il a manifestement l'habitude de commander.

 


 

La petite brise marine justifie à peine la ronde des couvre-chefs. Le bob se fait rare, la casquette marine n'a pas sa place ici. C'est la casquette à visière qui fleurit sur les têtes. Elle se porte à l'endroit ou bien à l'envers, se pare d'un capuchon ou d'une capuche imperméable. La mode des caïds de nos cités a gagné la horde touristique.

 


 

De nombreux visages s'effacent derrière des vitres teintées. Comme dans leurs automobiles, nos concitoyens s'assurent une intimité fictive derrière ce masque de verre. La promesse de l'arrivée met tout ce peuple en branle. La passerelle n'est pas sortie que la file s'est déjà formée. Ils sont nombreux à vouloir voir avant l'autre et descendre dans le même ordre. Debout, ils admirent l'île et les plus patients ne voient plus rien de Sein !

 


 

Maritimement vôtre.


 

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