Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
23 Mai 2010
Le poids des victimes.
Trois hommes sont morts quelque part loin de nous pour la paix, pour une autre idée de ce Monde. Trois hommes définitivement liés par ce sacrifice que chacun définira en
fonction de sa sensibilité ….
Ici, si loin de cet Afghanistan si énigmatique, les organes d'information établissent une morbide distinction. Un capitaine Français meurt en désamorçant une bombe nous
apprend-on de premier abord.
De trois, il n'est plus seul devant la mort annoncée. La nationalité ou le grade, je n'ose me prononcer, nous imposent une douleur nationale exclusive. La commisération devrait
s'arrêter au drapeau tricolore !
L'information se poursuit au-delà du titre racoleur. Ce pauvre capitaine, bien trop jeune pour partir, s'inscrit maintenant dans la longue liste de ses semblables ; morts
eux-aussi aux champs d'honneur et de douleur. Quarante deux ! Le nombre ne fait rien à la portée du deuil. Chaque homme est unique, chaque départ est tragique …
Les détails s'imposent pour étayer l'émotion. Les journalistes consentent alors à explorer le factuel. Ses compagnons de misère apparaissent au détail d'une précision. Un
sous-lieutenant néerlandais et un interprète Afghan ont partagé le sort de notre malheureux capitaine. Plus tard dans la matinée, les quatre blessés néerlandais (dont deux grièvement) seront
évoqués, la douleur a aussi des priorités.
Le décor est fixé pour ce drame humain qui s'intègre à l'émotion nationale. La désolation et le chagrin font leur chemin ici et là dans les cœurs des familles touchées. Des
êtres chers, des hommes de chair et d'amour sont tombés par la bêtise, la violence absurde et la monstruosité démoniaque de quelques-uns de nos pourtant semblables.
Nos professionnels de l'information éludent les comparses et reviennent à celui pour lequel nous devrions avoir une émotion exclusive. Nous apprenons d'où il vient, ce qu'il
faisait et comment le drame s'est déroulé. Bientôt, l'interprète Afghan disparaît des propos, volatilisé une nouvelle fois au nom d'un éthno-centrisme occidental.
En toute occasion, ce schéma informatif dirige nos coups de cœurs. Une catastrophe a lieu ici ou là. On s'empresse d'abord de nous préciser le nombre de victimes françaises
avant que de dénombrer les occidentaux. Puis on totalise les victimes, le nombre fait toujours sensation, on évoque rapidement les pauvres bougres qui ont accompagné les premiers dans leur
trépas.
Une victime devrait rester une victime. Un mort n'a plus de nationalité ni de titre. Les origines et la fonction n'ajoutent rien à l'inexorable qui s'est abattu. La dignité
humaine ne peut se satisfaire de cette hiérarchie morbide qui semble être entrée dans les pratiques journalistiques.
L'éthique, la déontologie, l'ontologie seraient des notions évacuées de nos médias. Le sensationnel pousse les ventes, la catastrophe favorise l'audience, la mort rentre dans
cette approche comptable de notre économie.
J'ai honte et je ne peux me satisfaire de ce traitement proposé soi-disant en fonction de mes attentes. Je laisse ces gens de peu à la petit commerce et toutes mes pensées
vont, sans distinction vers tous ceux qui souffrent depuis que cette bombe exécrable a jeté la désolation et la mort autour d'elle.
Miséricordieusement leur.