Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
1 Octobre 2010
Les nouveaux dieux sanguinaires de nos stades.
Ma correctrice à plein temps au détour d'un texte de labeur m'a fait remarquer son exaspération devant l'intrusion de métaphores religieuses dans le discours sportif. Elle
citait en exemple pour appuyer sa remarque la facilité coutumière des gens de plume et de survêtement qui se plaisent à présenter un stade comme le temple du ballon rond ou la nef de la petite
balle.
Les officiants de cette nouvelle religion du corps ont bien de la chance, les fidèles se pressent beaucoup plus dans les stades que dans nos vieilles églises en mal d'affection
et de fréquentation convenables. Je corrobore l'impression de la dame en soulignant également l'usage immodéré du discours guerrier et je ne suis pas exempt de ce défaut lorsque l'on aborde la
chose ovale !
Ainsi tous les stades sont devenus des lieux de culte où se mêlent l'adoration des idoles païennes, la célébration de rituels et la quête pour le denier du culte. La modernité du système est
telle que les différentes messes sont dites en différents endroits et qu'elles sont toutes suivies par une armée (tiens-tiens !) de caméras et de micros.
Il y a la parabole ou l'épître aux fidèles. C'est la conférence de presse de l'entraîneur avant puis après l'office. La parole divine a besoin d'être expliquée au petit peuple en adoration.
Parfois, la colère monte des travées, le vicaire risque sa tête et il est sacrifié pour préserver les icônes du jeu.
Il y a maintenant pour complaire aux amis du Fouquet's, le denier du culte. Le langage moderne appelle cette obole volontaire, les paris en ligne. Vaste escroquerie d'état,
relayée par des médias complaisants et corrompus, la ponction financière touche les plus humbles comme toujours dans ce monde de l'iniquité sacerdotale.
Il y a surtout la grand' messe lorsque des foules hurlantes et illuminées par la foi, se pressent dans des grandes cathédrales de verre et de fer au milieu desquelles se dresse
un autel sacré : une pelouse ou un tatami, un court ou un ring, un parquet ou un anneau. La passion est à son comble, la ferveur inégalée frise la folie. Les spectateurs vouent souvent une
dévotion sans borne à l'un des acteurs de la cène, ils portent son linceul en guise de reconnaissance.
Et la messe commence ! Le langage sacré laisse place au discours sanguinolent. Les armes se fourbissent, le combat est rude, la bataille fait rage, la foule hurle sa haine, une
équipe est mise à mort, du sang et des larmes sont versés… Rien ne nous est épargné dans l'abomination.
Le journaliste sportif est un frustré du grand reportage, il lui semble qu'en utilisant les mêmes termes que ses confrères, ceux qui couvrent les grandes tragédies du monde, il
hérite un peu de leur aura. Mais hélas, la fréquence de la dithyrambe, l'exagération permanente en matière de métaphore ruine l'effet et décrédibilise les personnages.
Il en rajoute dans l'abominable, dans le larmoyant ou l'emphase. La tragédie côtoie la catastrophe nationale, le pathétique fréquente assidûment le tragique, ce qui semble
assez naturel mais paraît finalement parfaitement déplacé lorsqu'on sait que tous ces gens sont en parfaite santé (ce qui n'est pas toujours exact) et grassement entretenus par un art fort
modeste.
L'opium du peuple est au service des puissants, il endort les foules et les place en situation de totale dépendance intellectuelle. L'unique sujet de préoccupation pour
certains est une équipe de football ou une écurie de formule un. La passion prend alors une place disproportionnée qui dépasse le cadre du loisir pour empiéter sur tous les actes du quotidien.
Le fidèle porte les couleurs de ses dieux, dispose d'une sonnerie téléphonique qui y fait référence, joue de grosses sommes pour parier sur leurs succès, voyage dans tous le
pays pour les suivre, consulte chaque jour le site et collectionne les articles de presse. Rien de bien géant s'il n'y perdait mesure et lucidité sur la vie réelle !
Modérément vôtre