La dernière édition ....
Lecteur occasionnel mais régulier de ce journal, je n'irai plus parcourir les pages de ce format particulier, de ce qui fut alors un symbole d'une autre pensée pour ne devenir aujourd'hui que la
copie conforme des aveuglements économiques des papiers qui chiffonnent.
Je fus alors un lecteur quotidien de ce journal en un temps que les possesseurs d'actions ne peuvent pas connaître. C'était la fin des années soixante-dix, l'homme qui était à la barre exaspérait
déjà son peuple, son modernisme avait fait un flop entraîné qu'il fut par les premiers délires pétroliers. J'étais instituteur stagiaire dans un petit village du bord de Loire, les parents d'élèves
voyaient d'un très mauvais œil cet achat matinal, mes cheveux longs d'alors et mon pauvre vélo.
Puis je suis rentré vraiment dans la vie active, le professionnel et tout le reste. Libé m'a accompagné en pointillés lorsque le temps où l'actualité le permettait ou l'imposait. Les vacances
étaient synonyme de l'achat nostalgique, les grands soubresauts politiques me faisaient retrouver le chemin du kiosque.
C'est toujours sur Libé que se portait mon choix. Une manière de croire que rien n'avait changé, que le jeune homme avait gardé ses illusions, ses croyances ou ses convictions. Un achat militant,
une envie de se démarquer peut-être, un goût pour la marge, là où il est si facile d'écrire à l'encre rouge.
Depuis, je me demandais parfois si l'encre n'a pas changé de couleur. Maintenant je sais qu'elle a viré au bleu d'outre songe à moins que ce ne soit une encre sympathique qui ne passera plus
l'épreuve du temps. Le pragmatisme, ce mot horrible qui affuble toute action humaine investie de la seule cupidité pour justifier ses motivations explique l'abandon de nos chers libévilles.
J'ai pourtant gardé des numéros d'exceptions. La chute du mur, la victoire de François, la première, celle de toutes nos illusions perdues. La mort d'Hergé, de Gainsbourg, de Bourdieux, de Barbara,
de Coluche et même de libé une autre fois. Ce journal fut souvent pour moi nécrologique et il n'est que justice que je lui rende la pareille.
Car le compagnon de route est devenu ennemi de classe. De July à Demorand en passant par Joffrin, les directeurs ont fait étalage de leurs convictions. Mais l'époque n'est plus aux bonnes
intentions, la finance est mère de toute chose, une dame au nom qui prédispose à l'aveuglement exige la fermeture de « Mon Libé Orléans ».
Le coup est d'autant plus rude que ce journal numérique était le seul organe d'expression démocratique dans une ville engluée par ses notables hautains, son journal local naturellement servile, un
tradition droitière qui est si profondément enracinée que la démocratie n'y trouve jamais une place légitime.
Nous y trouvions une autre approche, des informations qui ne sortaient pas ailleurs pour ne pas offusquer les maîtres de notre petit monde local. Nous nous exprimions sans avoir besoin de montrer
face souriante. Il y avait là un petit vent de liberté, celui qui indispose ceux qui font profession politique.
Notre pigiste récalcitrant, notre plume acide, notre correspondant local n'était d'ailleurs jamais convié au point presse de notre Grand démocrate de Maire, c'est vous dire comme le climat est
serein par chez nous. Maintenant que Libé Orléans va fermer, Maire et président du Conseil Général vont pouvoir manipuler en toute tranquillité, le poil à gratter va se taire.
Pour remercier Libération de ce choix dramatique, je vais immédiatement rompre le lien que j'avais avec eux. Ne le répétez pas puisque la pratique est délictuelle maintenant, je me résouts au refus
d'achat et pour moi, il sera définitif !
Libérablement vôtre