Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
20 Avril 2011
La loi remplace la conscience collective.
Un billet récent m'a montré à quel point il n'est plus raisonnable d'évoquer les petites choses qui font ordinairement le ciment d'une vie au sein de la collectivité, dans l'harmonie et la responsabilité individuelle. Il n'est pas question d'évoquer les simples gestes quotidiens sans grande importance qui bousculent régulièrement la bienséance ordinaire.
Il y a d'abord les urgentistes à la petite semaine, les preux chevaliers de la catastrophe mondiale. Ceux qui n'ont d'yeux que pour la tragédie à la Une, qui s'indignent et réclament une action immédiate, spectaculaire, totalisante. Il faut tout abandonner séance tenante et mettre l'appareil d'état entièrement au service de la chose en attendant qu'une autre vienne la supplanter.
Ils s'offusquent qu'on puisse se préoccuper de détails quand l'urgence frappe sur leur petit écran des douleurs majuscules. Ils ne peuvent comprendre que tout n'est pas au même rang, qu'il ne s'agit pas de hiérarchiser nos actions. Le quotidien a aussi ses grandeurs et qu'agir sur des détails mineurs peut parfois faire beaucoup plus qu'un geste spectaculaire sans lendemain.
Il y a les blasés des autres, les aveugles à leurs prochains qui ne peuvent considérer ce qu'ils ne peuvent même pas apercevoir. Ceux-là sont les fruits transgéniques d'une société de la cupidité et de l'individualisme. Ils réfutent toute notion de règle commune, de principe structurant pour une société. Seule leur envie est à satisfaire dans l'immédiat, seule leur personne est digne d'intérêt.
Ils ont perdu de vue toute forme d'altérité. Ils ne peuvent entendre qu'un de leur comportement puisse créer trouble ou gêne pour le voisin si lointain. Ils avancent seuls dans un monde où la somme des individus ne fera jamais une société. Ce qu'ils ont envie de faire, nul ne peut les en dissuader, surtout s'ils disposent de beaucoup d'argent.
Il y a les gants de fer dans les képis d'alentours. Il faut de l'ordre, il faut de la discipline. Ils en appellent à des mesures spectaculaires, à la tolérance zéro, une forme légaliste de l'intolérance à tout. Ils sont les tenants d'un pouvoir fort à la condition exclusive que la force soit tournée contre les plus faibles, les plus différents, les moins semblables à eux.
Ils veulent des lois pour tout et surtout pour presque rien. Ils attendent des mesures immédiates quand survient un nouveau comportement qu'il soit général ou simplement à la marge. Ils ont besoin d'un cadre précis défini par la puissance publique. Il faut punir, sanctionner, enfermer les contrevenants, les délinquants ; tous les autres surtout !
Avancer dans un autre registre est une folie sans nom. Réclamer la responsabilité du citoyen, du voisin, de tous pour permettre la concorde avec tous est une hérésie, une folie ou une anarchie parfaitement intolérable pour ces charmantes catégories sociales. Ne rien faire par soi-même est une évidence qui renforce la dépendance à la force publique.
Oser prétendre s'arroger le droit de faire une remarque à l'enfant qui bouscule un camarade dans la rue, au jeune qui jette sa cannette dans le caniveau, à l'homme d'affaire qui se gare en double file parce qu'il travaille lui, à l'agent qui stationne sur le passage piéton pour aller chercher du pain, au maire qui ne fait pas la queue dans la file d'attente, au professeur qui ne parle pas bien à un élève, à l'élève qui ne respecte pas un adulte de son établissement, … c'est saper les bases d'une société qui prend les siens pour des pions immatures.
Avec cette conception dramatique de la responsabilité, chacun compte sur l'autre pour apporter une réponse. Nous créons une structure pyramidale où seule celui qui est plus haut peut éventuellement réguler parce qu'il est mandaté, désigné, uniformisé, assermenté, investi d'un pouvoir citoyen que plus personne ne veut assumer par lâcheté. C'est en revenant à un sens individuel de nos responsabilités que nous retrouverons un peu de cohérence collective.
Altéritérement vôtre