Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.
13 Avril 2010
Au-delà de l'impossible …
Au sortir d'une longue plongée dans le monde mystérieux et onirique du Japon de Murakami, l'envie me prend de partager ce bonheur rare d'un ailleurs multiforme. Même si
l'aventure n'est pas reposante ; ce diable d'auteur nippon ne vous laisse guère en paix avec vos certitudes et votre conception d'un monde réel, tangible et cartésien, elle mérite d'être vécue
par le truchement de quelques-uns de ses romans.
Laissez-vous guider par votre ombre, personnage clef de cet univers, pour aller à la découverte des rêves d'au-delà de notre espace temps. Si une ouverture se présente à vous,
n'hésitez pas, franchissez le mur, aller au fond du puits, prenez l'ascenseur pour l'écheveau.
Des ténèbres, d'étranges créatures vous conduiront dans les entrailles de la terre ou de votre imaginaire et dans la conscience des Hommes? C'est là que la face noire de
l'humanité se révèle au lecteur ravi d'y trouver si loin de notre hexagone exsangue, la haine des porteurs de Rolex et de tant d'autres malfaisants.
« Une maison à Mimako-Ku, une bagnole européenne, une Rolex au poignet, tu passes pour un type de première classe. Quelle ineptie ! Tous ces besoins sont créés
artificiellement, c'est fabriqué de toutes pièces. On crée l'illusion que les choses complètement inutiles sont indispensables. Une certaine catégorie de gens se persuade que toutes ces choses
vont les différencier des autres. Ils ne seront plus comme tout le monde. Ils manquent d'imagination. C'est une illusion totale, je suis profondément écœuré par tout ça ! »
Murakami crée des illusions qui s'émancipent totalement des tristes réalités de notre société. Il remonte le temps, rencontre des naufragés de nos guerres ou de l'amour. Il
entre en relation avec des esprits, devient lecteur des rêves, chroniqueur de l'inconscient, guérisseur de nos maux. Il sillonne un Japon qu'il nous donne à comprendre par petites touches
documentaires. La mafia, la sphère informatique, les réseaux de prostitution de luxe, les camionneurs, les vedettes, les artistes deviennent les marionnettes de son délire inventif.
Les pratiques culinaires sont dévoilées par petites touches gourmandes. La bière et l'alcool coulent à flots déraisonnables pour exorciser les cauchemars d'un homme souvent
seul. Le chat est souvent son compagnon, on croise un vieillard qui parle avec ces félins urbains, premiers personnages d'une zoographie personnelle composée d'un oiseau à ressort, d'énigmatiques
« Ténébrides », des ultimes Licornes et d'un homme-mouton.
Murakami laisse au fil de ses romans des indices. Nous retrouvons des inquiétudes familières, des situations semblables qui mènent dans d'autres directions. Le narrateur,
souvent seul, se trouve en mal de fidélité. Abandonné, il cherche à se reconstruire en s'enfonçant dans les dédales de mondes parallèles. Il idéalise le Femme, elle hante ses pas et ses
amours oniriques. Le charnel se fait virtuel, irréel ou sublimement impossible.
Nous surfons sur ou sous la vague d'un Japon qui alterne modernité et tradition. De bars en hôtels, de maisons étranges en mondes souterrains, l'aventure est au cœur d'une
pensée introspective. D'un rêve spatiotemporel, nous errons dans un quotidien creux et désespérant. C'est pourtant là qu'il s'émancipe de la réalité pratique.
La confusion, la profusion, l'infusion de la feuille de thé et la diffusion d'une féérie étrange. J'espère qu'à votre tour vous ferez ce plongeon qui ne vous laissera pas
indemne. Le lecteur se fait aptère, il n'est plus que pensée pure portée dans l'univers romanesque de Monsieur Murakami.
Littérairement vôtre.